PHONÉTIQUE CORRECTIVE EN FLE
MÉTHODE VERBO-TONALE

logo UOH

LA CORRECTION DES ÉLÉMENTS SUPRASEGMENTAUX :
LE RYTHME ET L'INTONATION


LA CORRECTION DES ÉLÉMENTS SUPRASEGMENTAUX :
LE RYTHME ET L'INTONATION

avertissement liminaire

Cette séquence est consacrée à la correction des éléments suprasegmentaux également appelés éléments prosodiques, constitués par le bulle...rythme et bullel’...intonation. Leur importance a maintes fois été soulignée en maints endroits de cette ressource numérique. Le rythme et l’intonation entretiennent des rapports naturels avec la corporéité parolière (séquences 2 et 3), ils constituent le ciment reliant les unités segmentales, voyelles et consonnes, sur lesquelles ils exercent une influence constante dont il faut toujours tenir compte en CP (séquence 5).

Dans cette séquence, nous définirons dans un premier temps la prosodie et ses constituants et en esquisserons les fonctions. Nous aborderons ensuite les techniques de remédiation destinées à obvier à un rythme ou une intonation défectueux. Le commentaire explicatif sera illustré par maints extraits vidéo. Ceux qui ont été sélectionnés dans la séquence précédente contiennent également des techniques de correction faisant intervenir les paramètres prosodiques. Ceci est tout à fait normal puisque des liens naturels et réciproques unissent unités segmentales et suprasegmentales.

Une remarque s’impose. Cette ressource met davantage le trait sur l’éradication des erreurs au niveau des V et des C. Un travail de fond sur la prosodie est aujourd’hui encore difficile pour maintes raisons dont certains apparaitront à la lecture de ce chapitre. A l’avenir, une autre ressource numérique pourra être envisagée pour un travail spécifique portant sur les paramètres prosodiques. Elle nécessitera un matériel et des activités spécifiques qui n’ont pas été retenues pour ce travail d’initiation aux pratiques correctives en MVT.


1. UNE PRÉSENTATION D’ENSEMBLE DE LA PROSODIE

1.1. De la difficulté à cerner la notion de prosodie

Le terme prosodie s’est progressivement imposé dans le courant des années 1970. Avant, c’est le mot intonation qui était communément employé pour qualifier l’intégration perceptive globale de différents éléments dépassant le cadre des phonèmes, tels que la mélodie, les tons, les pauses, les diverses accentuations, le débit, le rythme. Les deux mots intonation et prosodie ont longtemps été employés comme de quasi synonymes par maints chercheurs dans les années 70-80.

Lorsque Guberina souligne l’importance du rythme et de l’intonation dans les années 1950, il se heurte à deux difficultés principales.

  1. le scepticisme des structuralistes.

- L'intonation a pendant longtemps été marginalisée par les linguistes qui présentent deux objections pour l’exclure de leur champ d'investigations, comme le note Di Cristo (1981, 24-25)1 étant le véhicule privilégié des émotions et des états d'âme, la prosodie (principalement l'intonation) est soumise à un double conditionnement, physiologique et psychologique. Les éléments prosodiques ne sont pas motivés et conventionnels, contrairement aux phonèmes. De plus, les signes intonatifs ne sont pas arbitraires, à l'instar des phonèmes; ils présentent un caractère universel car dans la plupart des langues les modalités basiques de la phrase sont manifestées par les mêmes signifiants mélodiques : l'interrogation et l'affirmation sont produites respectivement par une montée et une descente;

- le second argument a trait au caractère non discret des éléments prosodiques, contrairement aux phonèmes. C'est ainsi que le degré d'accentuation affectant la syllabe d'un mot peut traduire une insistance plus ou moins accusée. De même, toute variation de la courbe mélodique de l'énoncé entraîne une modification parallèle et proportionnelle du sens de cet énoncé.

  1. la rareté des études sur l’intonation. Celles-ci prennent un essor fulgurant à partir du milieu des années 1960 avec la publication des travaux de Delattre.


1.2. Les fonctions de la prosodie

La prosodie remplit de nombreuses fonctions à l’oral, et notamment :

• Une fonction de structuration de la parole. La fonction linguistique première de la prosodie est de segmenter le discours, de le découper en petites portions d’énoncé qui ont souvent partie liée avec l’organisation sémantique et syntaxique :

Ce soir / nous allons au restaurant / vers huit heures trente//

Il ne fait pas beau / aujourd’hui //

Vous voulez du thé / ou du café ? //

• Une fonction d’expression des affects. La prosodie est le véhicule privilégié des émotions et sentiments.

Une fonction identificatrice. La prosodie donne une série d’indices sur le locuteur en révélant son appartenance géo-socio-culturelle.

Une fonction interactive. Les paramètres constitutifs de la prosodie participent directement de la gestion et de l’organisation des tours de parole comme le démontrent de nombreux travaux en analyse conversationnelle.

 

1.3. Pourquoi donner la priorité à la prosodie.

Dans ses analyses, Guberina insistait sur le fait que le travail centré sur le rythme et intonation constitue la base de tout l’apprentissage du langage. Il développait l’idée que le rythme et l’intonation sont les éléments qui donnent son unité à la parole.

A la lumière des travaux se développant dans le domaine depuis les années 70, la portée de l’enveloppe prosodique est de plus en plus manifeste.

A l’oral toute la langue est contenue dans la prosodie qui englobe et fédère les systèmes phonologique, morphologique, lexical, syntaxique, sémantique.

Sur le plan de la perception, la prosodie est ce que l’on perçoit en 1er. Ce n’est qu’à des étapes ultérieures de traitement que l’on donne du sens à cette suite de sonorités constituées par le flux parolier initialement perçues en termes de montées et de descentes tonales, de pauses et d’allongements, de saillances éventuelles sur certains regroupements sonores, etc.

Sur le plan de la production, la prosodie est un intégrateur des unités de 1ère et de 2ème articulation -phonèmes, morphèmes- qui sans elle ne seraient pas reliées entre elles. Elle constitue également un planificateur de l’activité discursive. En outre, la gestualité associée à la prosodie, loin de constituer une sorte d’ornement de la parole, est une aide à l’encodage verbal.


1.4. Bref aperçu de l’organisation prosodique du français

1.4.1. Le rythme

Le rythme parolier est un phénomène particulièrement complexe. L’impression rythmique est produite par la conjonction de nombreux facteurs parmi lesquels les structures phonétiques et morphématiques, les bulle...accentuations diverses, les différents types de bulle...pauses et les variations de bulle...débit. L’ensemble constitue l’infra-structure rythmique.

Dans une perspective de phonétique corrective, le rythme peut recevoir la définition suivante : il est constitué par les contrastes entre les différentes syllabes d’une suite parolière, perçus en termes de hauteur, d’intensité, de durée -et de timbre-.

Entrer dans une langue étrangère, c’est entrer dans un rythme étranger. Chaque langue a un rythme structuré de façon originale.


1.4.1.1. L’importance de la syllabe

La syllabe, est l’unité rythmique pulsionnelle de base en français. En production, elle correspond à la prononciation d’une seule émission de voix d’un phonème ou d’un groupe de phonèmes. C’est donc une unité fondamentale d’articulation en plus d’être une unité d’autonomie vocale. La syllabe est également une unité de segmentation de la parole pour des sujets de langues romanes.

La syllabe est le lieu :

- de la variation segmentale ;

- de la bulle...coarticulation ;

- de l’bulle...assimilation ;

- des divers degrés d’accentuation.

La syllabation du français est caractérisée par une prédominance de syllabes ouvertes, c’est-à-dire terminées par une voyelle prononcée, environ 80%. La voyelle bénéficie de ce fait d’un poids psychologique important, elle est véritablement le centre de la syllabe. Pour exister, la consonne s’agrège à la syllabe suivante, ce qui se traduit par le phénomène d’enchainement consonantique caractéristique du français. Un avantage de la syllabation ouverte est de proposer des structures syllabiques très régulières avec des frontières syllabiques claires :

img01seq06

En français, la perception de la parole paraît s’organiser à partir d’unités syllabiques.


1.4.1.2. Les accentuations en français

Certaines syllabes sont mises en valeur dans la chaîne parlée et constituent des proéminences rythmiques. Elles sont accentuées. Il existe trois sortes d'accent en français. La FS1 en présente une vision synoptique cf. DOC14.

• L'accent primaire -également appelé accent final ou accent tonique- est un accent de langue; il frappe la dernière syllabe prononcée d'un groupe rythmique. En cela il peut être qualifié d'accent fixe affectant non le mot mais le groupe. Il est caractérisé par

- une durée plus importante que les syllabes situées à sa gauche, à l'intérieur du groupe rythmique;

- un glissando montant ou descendant;

- une pause -réelle ou virtuelle- possible après la syllabe considérée.

Cet accent a une valeur démarcative.

L'accent primaire est obligatoire. Il doit être acquis en premier par les apprenants étrangers.

L'accent secondaire -également appelé accent initial ou encore ictus mélodique- est un accent affectant l'initiale de mot. Il est flottant car pouvant être placé sur telle ou telle syllabe et les natifs ne sont généralement pas sensibles à sa présence. L'accent secondaire est caractérisé par un relief de mélodie et/ou d'intensité. La durée peut augmenter mais jamais suffisamment pour permettre la perception d'un accent primaire. De même, l'intensité de l'accent fixe est significativement supérieure à celle de l'ictus mélodique.

Prenons l'exemple du groupe rythmique constitué par Cette charmante jeune fille où l'accent primaire tombe sur [fij] et l'accent secondaire est susceptible d’affecter toute syllabe située à gauche à l'exception de celle précédant immédiatement l'ultième.

Cet accent semble être la résultante d'une contrainte physiologique et rythmique : sur une séquence de plus de cinq syllabes dénuée d'accent fixe se manifeste un relief mélodique dont le rôle est d'organiser rythmiquement cette portion d'énoncé.

L'intérêt de jouer sur ces deux accents (qui sont des accents de langue) en correction phonétique est évident et apparaît très souvent dans les interactions vidéo: demander à l'élève de répéter une séquence parolière longue (à partir de 4 syllabes) constitue une source évidente de difficultés provoquant souvent une saturation de la mémoire de travail chez des apprenants étrangers non experts (débutants ou faux débutants en L2) ou non entrainés à travailler sur les sonorités parolières. Réorganiser la séquence parolière en petites unités rythmiques composées de 2 ou 3 syllabes constitue une aide particulièrement efficace pour assurer une répétition dynamique. Les exemples en ce sens abondent dans la ressource.

L'accent libre est également appelé d'insistance, affectif, intellectuel, emphatique... Il est externe car relevant du domaine de la parole : le locuteur peut ou non y avoir recours. Il peut être défini par trois facteurs formels :

- il est facultatif;

- il est initial;

- son domaine est la syllabe ou le mot.

L'accent libre se caractérise par un relief de mélodie et d'intensité dépassant celui de l'ictus mélodique. La montée mélodique est brève, rapide, atteignant généralement l'aigu. L'augmentation éventuelle de la durée n'est pas significative.

Cet accent est de plus en plus employé et tend à entrer dans le système de la langue. Sur le plan morphologique, l'insistance paraît liée à la fonction significative, référentielle car ce sont bien des éléments significatifs qui sont mis en relief dans la plupart des cas. Cet accent remplit aussi des fonctions identificatrices (émotions) et impressives (démarcatives, contrastives et oppositionnelles).


1.4.1.3. L'organisation des groupes rythmiques en oral spontané2.

L'oral spontané est ce vers quoi l'on tend en principe quand on enseigne une L2. Une précision s'impose d'emblée. La parole est une activité humaine soumise à des contraintes biologiques et psychologiques fonctionnant selon des principes indépendants de ceux définis pour une étude linguistique. Ces contraintes intervenant dans la production du rythme de parole. Soit l'exemple de 2 accents consécutifs: ils ne doivent pas

- être trop proches (sinon, risque d’être confondus, d'où une syllabe d'écart comme indiqué plus haut);

- être trop éloignés (autrement, le processus perceptif de structuration rythmique ne pourrait pas se produire).

Du fait de l'ensemble des contraintes physiologiques et de ses capacités cognitives l'être humain est fait pour percevoir par petits paquets de sens et produire par petites unités. Ceci signifie qu'à l'oral les groupes rythmiques présentent des caractéristiques particulières:

  • ils sont courts : 3 à 4 syllabes :

  • contraintes physiologiques de production ;

  • contraintes perceptives

  • ils s’équilibrent sur le plan temporel:

  • même nombre de syllabes dans des GR successifs :

  • différence peu marquée (+ ou – 1 syllabe) entre GR successifs :

Tu viens / ce soir / au ciné ?

On a mangé / des spaghettis / au restaurant

  • si la différence est plus importante, d'autres facteurs interviennent :

    • rôle du débit

    • rôle de la pause compensatrice notée ci-dessous par :

Au fait tu n’as pas vu Pierre ?

Alors tu n’es pas d’accord ?

La durée du 1er GR et celle de la pause compensatrice équivalent à la durée du 2ème GR. On retrouve le principe d’équilibre temporel entre les GR.

A noter qu'en lecture la taille des GR est sensiblement plus longue et peut aller de 8 à 12 syllabes pour un lecteur entrainé. Commencer l'étude d'une L2 sur la base de textes lus/écrits peut donc constituer un handicap pour travailler sur la matière phonique caractéristique de l'oral spontané.


1.4.2. L’intonation

L‘intonation peut être définie comme "Les changements de fréquence des vibrations des cordes vocales [qui] sont responsables de la perception des variations de hauteur, dont le déroulement crée la mélodie de la parole" (Léon, 1992, p.119). Cette définition de l'intonation met en évidence que ce phénomène peut être envisagé sous trois angles dans une perspective phonétique :

- physiologiquement, l'intonation est produite par la vitesse plus ou moins élevée des mouvements d'ouverture et de fermeture des cordes vocales;

- sur le plan acoustique, ces vibrations provoquent des variations de la fréquence fondamentale sur les syllabes successives de l'énoncé;

- au niveau perceptif, les variations de Fo se traduisent par des modifications dans le ton de la voix du locuteur, autrement dit par des changements de hauteur.

Il ne faut donc pas confondre bulle...mélodie et intonation. La mélodie résulte de l’évolution de la bulle...fréquence fondamentale (Fo) lors de la production d’un énoncé. Elle est mesurable objectivement grâce à divers appareils qui en enregistrent les modifications fréquentielles. Sur le plan perceptif, les changements de Fo sont responsables des modulations de bulle...hauteur –changements de tons- dans un énoncé. L’intonation est l’unité linguistique actualisée par la mélodie. Elle englobe les différents paramètres acoustiques et perceptifs utilisés pour l’étude du signal de parole mais, en plus, elle contient du sens, ainsi que de l’affectivité.

Delattre (1966)3 est le 1er à décrire des configurations intonatives linguistiquement pertinentes grâce à une série d'analyses instrumentales -spectrogrammes, synthèse de l'intonation sur des machines à parole artificielle, batteries de tests perceptifs. Il s'est attaché à travailler en langue et non en parole et a dégagé dix intonations de base qualifiées d'intonations "neutres", c’est à dire prononcées de manière non expressive4 cf. DOC15.

La représentation graphique de ces patrons intonatifs également appelés bulle...intonèmes est obtenue grâce à une portée de quatre niveaux (chiffre arbitraire) sur laquelle est indiquée la direction générale des courbes mélodiques (sans tenir compte des variations d’intensité et de durée). Ces courbes sont des schémas de base qui peuvent subir des modifications dans le discours. Les niveaux ne sont pas absolus, Delattre les considère plutôt comme des points de repère pratiques destinés à faciliter la représentation schématique des bulle...intonèmes. Il prend également soin de préciser qu'ils ne sont valables que pour un nombre limité de patrons intonatifs et qu'ils ne suffiraient pas à représenter toutes les courbes d'une langue donnée.

Delattre a mis en évidence que les courbes les plus significatives se dégagent clairement par commutation lorsqu'on établit des oppositions de sens qui sont fondées sur la substitution d'une seule courbe. Outre la fonction démarcative de l'intonation, il illustre au moyen de nombreux exemples que l'intonation est en fait formée d'unités discrètes5

La typologie de Delattre quoiqu’ancienne, lacunaire et non exempte d’erreurs constitue une bonne porte d’entrée pour le professeur de FLE s’initiant à l’intonation. Elle lui donne une série de repères utiles et est opératoire pour un travail sur les structures intonatives du français6. Il est possible de compléter par les travaux de P. Léon qui proposent également une exégèse pertinente et un modèle applicable en classe de langue.

 

1  DI CRISTO, A. (1981). Aspects phonétiques et phonologiques des éléments prosodiques. Modèles linguistiques, tome III (fasc. 2), 24-83.

2  Cf. Wioland 1991.

3  Delattre, P. (1966) Les 10 intonations de base du français. The french Review, n° 40, vol. 1, pp. 1-14.

4  En réalité, une intonation ne peut jamais être « neutre »…

5   Delattre, P. (1969) L'intonation par les oppositions. Le français dans le monde, n° 64, pp. 6-13.

6  L’un des plus éminents intonolgues français a d’ailleurs utilisé le modèle de Delattre afin de bâtir des batteries d’exercices structuraux destinés à faire travailler les apprenants sur l’intonation du français : DI CRISTO, A. (1971). L'enseignement de l'intonation française: exercices structuraux pour la classe et le laboratoire. Le français dans le monde (80), 10-16 ; DI CRISTO, A. (1971). L'enseignement de l'intonation française: exercices structuraux pour la classe et le laboratoire (suite). Le français dans le monde (82), 16-21.