PHONÉTIQUE CORRECTIVE EN FLE
MÉTHODE VERBO-TONALE

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LA CORRECTION DES ÉLÉMENTS SUPRASEGMENTAUX :
LE RYTHME ET L'INTONATION


2. LA CORRECTION DES PARAMETRES PROSODIQUES

Le film pédagogique intitulé F274 : procédure de correction du rythme et de l'intonation permet de visualiser les techniques décrites ci-dessous et assure une meilleure compréhension de l'action professorale dans les extraits vidéo.

2.1. De la difficulté à travailler sur la prosodie en phonétique corrective.

Comme cela a été souligné maintes fois, la prosodie

  • englobe toute la langue à l’oral ;

  • constitue une priorité en MVT. Nous avons vu dans la séquence n° 6 que ses éléments interviennent en permanence dans la correction de segments sonores incorrectement prononcés en L2.

Une erreur portant sur le rythme ou l’intonation est immédiatement repérée par un natif. Il importe donc d’intervenir prioritairement pour corriger tel paramètre prosodique produit de manière erronée.

Mais c’est aborder là un domaine encore mal circonscrit, mal connu, posant de nombreux problèmes au praticien comme au chercheur1. Voici quelques questions que le praticien de phonétique corrective doit logiquement se poser pour mieux déterminer son action remédiatrice. Les réponses sont très loin d’être évidentes…

  • COMMENT l’enseigner ?

    • même si depuis près de ½ siècle les connaissances sur la prosodie se sont considérablement développées, en en sait encore beaucoup et très peu ;
    • l’oral, de par sa nature, échappe à la prévisiblilité, en tout cas en L1 dans le cadre des interactions de la vie quotidienne ; comment dans ce cas faire appliquer/(re)produire des bulle...intonèmes canoniques en L2 …
    • y a-t-il une « norme », comme pour la réalisation des phonèmes?
  • QUE faut-il enseigner ?

    • est-il possible d’enseigner la prosodie globalement?

    • doit-on travailler sur un paramètre prosodique en particulier? Si oui, lequel privilégier et pourquoi ?

    • prosodie de la phrase? Du discours?

    • Faut-il commencer par des intonations dites « neutres » ? Ou bien intégrer d’emblée l’affectivité ?2

    • la prosodie pour elle-même ou en l’intégrant à une conception de ce qu’est la communication à l’oral? Ou l’interaction à l’oral ?..



2.2. Conseils généraux pour travailler sur le rythme et l’intonation.


Dans les premiers temps de l’apprentissage phonétique, l’enseignant doit toujours favoriser des groupes rythmiques courts. Ils ne doivent jamais excéder 4 syllabes. Le risque est grand sinon de provoquer la saturation de la bulle...mémoire de travail. Cette saturation se traduit par le fait que l’apprenant bloque et ne parvient pas à répéter la séquence attendue, qu’il en produise le début et non la fin ou l’inverse, ou encore qu’il oublie des syllabes au milieu : F138 ; F153 ; F155 ; F232 ; F233 ; F244 ; F245 ; F246 ; F2483.

La mémoire de travail doit être stimulée de façon à pouvoir traiter progressivement des GR successifs de façon dynamique4. Ces GR s’enchaînant doivent tous être composés d’un nombre restreint de syllabes. Cet entraînement est essentiel pour produire un effet rythmique fondé sur le retour à intervalles réguliers de phénomènes sonores globaux présentant des similitudes, notamment sur le plan temporel. Cette familiarité permet à terme de mieux les percevoir, les reproduire sous le contrôle de l’enseignant avant de les réaliser spontanément de manière autonome. C’est en tout cas le but visé.

Ce conseil est essentiel pour les débutants en L2, il s’applique également à des apprenants davantage experts désireux d’améliorer leur performance phonétique. Cf. entre autres F232 ; F234.

Le débit de parole du professeur doit être normal, quel que soit le niveau linguistique des élèves. Il ne doit pas être trop rapide car beaucoup d’indices sonores ne seraient pas perçus, il ne doit pas être exagérément ralenti au risque d’engendrer un sentiment de frustration.


2.3. Le recours aux bulle...logatomes.

De nombreuses interactions vidéo illustrent l’utilisation de logatomes. L’enseignant peut y avoir recours quand il propose un énoncé long à répéter, composé de plusieurs GR. Le logatome peut fournir une aide à certains élèves en leur permettant de mieux en entendre la « musique » ou en leur permettant de mieux percevoir certaines saillances rythmiques.

Grâce aux logatomes l’élève traite l’information au seul niveau audio-phonologique. L’accès au sens est momentanément coupé, il se concentre sur les seuls aspects sonores auxquels il ne prête généralement pas attention. Le professeur dispose de trois procédés logatomiques qui doivent être utilisés en respectant la trame rythmico-accentuelle et le contour mélodique5.

  1. Le « dadada ». Les syllabes parolières sont remplacées des syllabes de type « dadada ». Dans l’exemple Bonjour cher ami comment allez-vous ? La structure logatomique est donc dada / dadada / dada / dadada. Les barres obliques indiquent les groupes rythmiques possibles. Ceux-ci sont brefs et diffèrent d’une syllabe : 2-3-2-3.

    Examinons la pertinence de ce procédé sur le plan phonétique. La voyelle [a] est la plus longue intrinsèquement. Elle est produite avec une tension articulatoire moindre. Elle s’oppose à [d] qui est une consonne occlusive donc très brève et réalisée avec une forte tension articulatoire. La syllabe est la structure prosodique minimale où se regroupent les sons paroliers. Cette structure se fonde sur la notion de contraste entre les unités la constituant. Le principe de contraste syllabique est ici valorisé au maximum. Les segments [d] et [a] ont en commun d’être sonores car produits avec vibrations des cordes vocales. La présence du fondamental, véhicule de l’intonation, est assurée en permanence.

    C’est pour cela qu’il est préférable d’utiliser [d] plutôt que les sourdes [t] ou [p] qui provoquent des ruptures du fondamental. De même, le recours à un logatome du type lalala permettant de « chanter » la mélodie accompagnant le rythme, certes possible, peut toutefois être évité. La consonne [l] rappelle acoustiquement une voyelle et le principe de contraste syllabique en pâtit. En outre, [l] est très fragile et pose des problèmes de production à beaucoup d’étrangers. Ils réalisent souvent un son rétroflexe, ou trop tendu, ou mouillé, ou même un son proche de [w].

  2. le « mumming sound » consiste à remplacer les syllabes parolières par une suite logatomique sur la base de la consonne [m]. Celle-ci est sonore ; c’est aussi la plus grave de toutes les consonnes. Elle renforce les fréquences naturellement graves du fondamental. Ce procédé perturbe certains élèves qui disent le ressentir viscéralement. Ils lui préfèrent le dadada, considéré comme plus « neutre », moins « impliquant ».

  3. La « voix logatomique ». Nous entendons par là une voix produisant des sons indistincts, comme lorsque on parle la bouche pleine, mais respectant la trame prosodique. L’élève peut ainsi continuer de se concentrer sur la forme sonore et n’active pas les traitements de haut niveau qui sont sollicités dès que la parole surgit.

Ces procédés logatomiques sont saisissants pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ces sortes de vocalises hors sens, peuvent sembler incongrues, sinon redoutables, que seule la réinsertion de la parole pourrait exorciser. Lors des premières séances, l’enseignant a intérêt à faire précéder le logatome d’une brève consigne Écoutez le rythme ou Écoutez la musique car ce genre de production peut provoquer le rire ou la gêne et bloquer l’écoute de l’élève. Ensuite, les logatomes ne s’adressent pas à la seule conduction aérienne (à l’oreille) car leurs fréquences graves sont perçues par l’ensemble du corps. La sensibilité vibro-tactile capte les fréquences inférieures à 400 Hz. Les orthophonistes exploitent au maximum ces fréquences basses reçues et véhiculées par tout le corps, auxquelles les entendants ne prêtent généralement pas attention. C’est pour cette raison que certains supportent mal le mumming sound qui transmet les fréquences les plus graves de la voix professorale. Il suffit cependant de songer aux sonorités graves d’une contrebasse ou d’un violoncelle qui s’incorporent littéralement en nous pour prendre conscience du fait que notre corps est une gigantesque oreille.

Les logatomes constituent un procédé très performant pour aider l’élève à se repérer dans le monde prosodique de la langue étudiée. Y recourir assure un espace de liberté et de découverte de la prosodie. L’enseignant doit savoir pourquoi il en use, l’élève doit accepter de passer par cette phase de hors sens lui assurant une meilleure audibilité des sonorités de l’autre idiome. L’enseignant doit veiller à sa pose de voix qui doit être chaleureuse et avoir un débit normal. Cette voix, davantage rassurante, transmet une affectivité empathique. Le professeur peut utiliser l’ensemble des logatomes avant de faire entendre l’énoncé. Il peut aussi alterner le logatome et l’énoncé parolier. L’élève peut répéter le logatome s’il le désire, ou simplement l’écouter et lui substituer la phrase à prononcer.

F163 ; F164 ; F161 ; F162 ; F238 ; F239 ; F240

2.4. Le geste indissociable du travail sur la prosodie.

Vous l’observez sur pratiquement toutes les vidéos, le professeur verbo-tonaliste est un grand gesticulateur qui utilise un geste précis et contrôlé afin de travailler sur le rythme ou accompagner un mouvement intonatif – et aussi pour éradiquer une V ou une C défectueuses –

La relation prosodie/geste repose sur trois idées force :

  • le son est toujours le résultat d’un mouvement ;

  • le geste accompagne naturellement la parole ;

  • la prise d’information est toujours multimodale. Celle de l’information sonore passe également par la vision, le corps (bulle...kinesthésie, bulle...proprioception).

Dans le travail en MVT, tant du côté de l’orthophonie qu’en didactique des langues, le mouvement moteur sert de médiateur pour

  • faire percevoir les qualités phonético-motrices des sons ainsi que le rythme et l’intonation ;

  • pour conduire à une bonne articulation ainsi qu’à une parole modulée et harmonieuse.

Le mouvement est envisagé comme un intermédiaire visuel, kinesthésique autant qu’affectif.

L’ampleur du geste doit toujours être contrôlée par l’enseignant. Il faut que le mouvement de la main soit effectué

  • au niveau de la poitrine et proche du visage de façon à ce que l’apprenant puisse toujours regarder le professeur. Ceci en rassure certains, d’autres prétendent qu’ils « lisent » sur les lèvres de l’enseignant. Ce dernier doit conserver en permanence un visage avenant reflétant l’empathie, cette donnée est essentielle pour la réussite de l’acte de correction phonétique6 ;

  • sur le plan frontal, le geste ne doit pas dépasser les limites du corps du praticien. Sinon, l’élève qui suit du regard la direction du mouvement est moins attentif aux sonorités…

Le tableau synoptique de la FS2 cf. DOC16 donne une vision d’ensemble des gestes accompagnant le travail d’intégration des paramètres prosodiques.


2.4.1. Travail sur le rythme.

Scansion syllabique. Le procédé consiste à accompagner la production des syllabes d’un geste de la main consistant en des battements très réguliers, type « métronome » sur celles qui ne sont pas accentuées et un allongement horizontal soulignant la durée sur la syllabe frappée par l’accent primaire.

F154 ; F171 ;

Décompte syllabique. Le professeur commence ce comptage le poing serré et déplie les doigts au fur et à mesure du déroulement des syllabes. La syllabe accentuée est indiquée par un allongement horizontal de la main avec glissando vers le haut ou le bas.

F014 ; F141 ;

Mise en évidence des pics accentuels. Les proéminences rythmiques sont indiquées avec la main en pronation7qui dessine des arcs successifs dont les sommets coïncident avec les saillances accentuelles. Celles-ci doivent être rapprochées –toutes les 2 ou 3 syllabes en moyenne-.

Découpage progressif, du début vers la fin du GR ou de 2 GR successifs. Le professeur prononce syllabe après syllabe, l’apprenant répétant à sa suite ces regroupements successifs. L’enseignant peut utiliser conjointement la scansion ou le décompte syllabique. Il peut également passer par des logatomes. Le procédé est efficace pour installer le rythme, notamment quand un accent malencontreux est initialement produit par l’élève.

D’autres procédés sont parfois utilisés pour faire percevoir le rythme.

  • Chaque syllabe est accompagnée d’un battement de pied comme en F259; F260 ;

  • Un claquement de doigt signale les syllabes accentuées ;

  • L’enseignant indique les syllabes importantes en tapant sur la table du bout des doigts ou avec un stylo.

Ces procédés superposent tous un bruit supplémentaire aux sonorités parolières ; ceci peut éventuellement créer une difficulté supplémentaire. Mais tout dépend de la personnalité du professeur. Certains considèrent que ces moyens donnent de bons résultats. Aux utilisateurs de la ressource de se faire leur propre opinion.


2.4.2. Travail sur l’intonation.

Les montées et les descentes tonales sont en partie dépendantes de l’infra-structure rythmique.

Dans cette ressource, l’intonation est abondamment utilisée pour corriger les éléments segmentaux défaillants. Il n’a pas été prévu de proposer un travail spécifique la concernant directement. L’entreprise est d’ailleurs périlleuse en raison des questions soulevées en 2.1.

Rappelons que nous avons évoqué dans la séquence n° 5 l’intérêt de distinguer entre

  • sommet vs creux intonatif : F040 ; F058 ; F063 ; F166 ; F231 ; F237 ;

  • mouvement intonatif montant vs descendant : F027 ; F048 ; F051 ; F235.

Un procédé utile pour faire percevoir à l’apprenant la direction d’un mouvement intonatif est constitué par le découpage régressif. Il s’agit de partir de la dernière syllabe de la suite sonore et de remonter progressivement vers le début en respectant les différences de hauteur entre les syllabes et en les matérialisant visuellement avec la main. On en trouve deux exemples en F141 ; F145


1 Voir dans cette perspective : BILLIÈRES, M. (2008). Le statut de l’intonation dans l’enseignement/apprentissage du FLE. Le Français dans le Monde, série Recherches et Applications (43), 27-37.

2 Le problème ne se pose pas dans la présente ressource qui vous apprend à intervenir sur les éléments segmentaux. Par contre, œuvrer sur le rythme et l’intonation en incluant la dimension affective inhérente à la prosodie impose de passer par des exercices de corporéisation parolière tels que ceux pratiqués dans les ateliers théâtre. Ceci nécessite une formation particulière du professeur. Et dépasse largement les limites de cette ressource.

3 Les 3 derniers extraits ne contiennent aucun commentaire écrit mais illustrent bien ce phénomène de saturation de la mémoire de travail.

4 Charlotte Alazard travaille dans ce sens avec ses apprenants anglophones. Elle propose des énoncés composés de plusieurs GR qu’elle propose successivement par un travail de répétition destiné à entrainer l’empan mnésique de la MDT, soit la capacité de rétention des items sonores à traiter.

5 Dans les lignes qui suivent, nous reprenons un bref extrait de : BILLIÈRES, M. (2002). Le corps en phonétique corrective. In R. RENARD (Ed.), Apprentissage d'une langue étrangère/seconde 2. La Phonétique verbo-tonale. (pp. 37-70). Bruxelles: De Boeck Université.

6 Les comportements non verbaux sont déterminants. Cf. BILLIÈRES, M. (1989). Non verbal, phonétique corrective et didactique des langues. Revue de Phonétique Appliquée (90), 1-16.

7 Main horizontale, paume tournée vers le bas.