PHONÉTIQUE CORRECTIVE EN FLE
MÉTHODE VERBO-TONALE

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L'ORGANISATION D'UNE LEÇON DE
CORRECTION PHONÉTIQUE

Cette  séquence propose tout d’abord un commentaire sur la nature de l‘interaction s’instaurant entre l’enseignant, l’apprenant et le groupe classe durant une séance de correction phonétique. Ceci peut contribuer à mieux saisir certains détails des vidéos jalonnant la ressource. Dans un deuxième temps, une série de conseils pratiques sont suggérés au professeur sur la manière d’organiser et de gérer au mieux cette activité particulière qu’est la correction phonétique en classe de langue.

1. La correction phonétique : une interaction particulière

1.1. La nature de l’activité proposée aux apprenants.

Dans cette ressource, l’interaction professeur/groupe/apprenant est on ne peut plus classique. Elle correspond aux pratiques de l’ensemble 1 telles qu’évoquées dans le panorama des activités possibles en phonétique corrective de la séquence n° 2. Les élèves sont invités à répéter les répliques successives d’un dialogue1 et le professeur intervient dès qu’il relève une erreur patente.

C. Alazard et M. Billières poursuivent des objectifs complémentaires. C. Alazard travaille exclusivement avec un groupe d’apprenants anglo-saxons et son action porte prioritairement sur la prosodie. Son but est de leur permettre de produire des groupes rythmiques successifs de manière fluide. Il convient pour cela de systématiquement entrainer la bulle...mémoire de travail. C. Alazard fait répéter des énoncés constitués par un, puis deux, puis trois GR en jouant sur les proéminences rythmiques et les saillances perceptives dues aux accents ainsi que sur la gestualité facilitatrice qui fournit des indices visuels et kinesthésiques probants. Cet entrainement, demandant de la ténacité, permet à terme à l’apprenant d’acquérir un plus grande fluence en LE et aussi d’être plus à l’aise lors de la lecture en langue cible. C. Alazard travaille donc dans la durée sur la perception/reproduction de regroupements sonores en L2 ; elle intervient naturellement si un segment particulier est mal prononcé. M. Billières a affaire à des étudiants de plusieurs nationalités et sa démonstration porte plus précisément sur la correction des V et C avec utilisation systématique de la prosodie au service de l’éradication des erreurs de prononciation.

L’apprenant répète à partir du modèle fourni par la voix du professeur présent à ses côtés dans la salle d’enregistrement. Cette présence physique est importante. La voix professorale accompagnée de toute une série d’indices non verbaux est beaucoup plus percutante que n’importe quel enregistrement sonore. Le fait de travailler à partir d’une source enregistrée présente certainement maints avantages : fournir un modèle immuable (l’infinie patience du magnétophone) correspondant en principe à la norme de prononciation du français actuel2. Mais les enregistrements peuvent perdre de leur efficacité si leur qualité n’est pas bonne, si tel ou tel auxiliaire technique n’est pas à la hauteur (haut parleurs défaillants par exemple). Sans compter qu’ils sont réalisés avec un débit de parole souvent rapide ne permettant pas de traiter l’information prosodico-phonétique en toute sérénité. Ce choix de présentation s’explique doublement : a) La ressource se propose de montrer comment des enseignants interviennent immédiatement suite à une erreur phonétique ; c’est l’interaction professeur-élève et la technicité de l’enseignant qui sont mises en valeur sans passer par quelque appareil que ce soit ; b) s’appuyer sur des enregistrements sonores avec les manipulations de dispositifs en découlant aurait compliqué le processus d’enregistrement des vidéos et alourdi leur visionnement.


1.2. L’importance du cadre.

L’organisation de l’espace classe a son importance. Le professeur doit toujours être attentif à l’aspect bulle...proxémique. C. Alazard est assise, avec les étudiants installés sur des chaises de part et d’autre. Ceci est dû à la nature de l’activité : amener progressivement les étudiants à réaliser des GP successifs affectivement non marqués de façon naturelle, sans hésitations, à-coups, ruptures rythmiques d’où une atmosphère générale de calme auquel concourt la disposition spatiale du groupe. M. Billières et H. Berdoulat sont debout, les étudiants se tenant derrière des tables disposées en U. Ce dispositif est pratique car il permet de réguler le jeu du contact et de la distance avec les apprenants. La table offre éventuellement pour certains d’entre eux une sorte de protection naturelle si l’enseignant se rapproche trop –ce qui ne se produit pas dans la ressource en raison de contraintes techniques-. Quand peu d’étudiants sont présents, M. Billières choisit d’être assis. Ceci circonscrit un espace commun plus réduit et induit une relation plus égalitaire, moins imposante que lorsque le praticien domine les élèves en restant debout. Il est important de veiller à la disposition du mobilier en faisant en sorte que la salle soit un lieu propice à la communication et aux échanges. Il faut aussi savoir que, si le professeur est trop éloigné, il arrive souvent que l’apprenant se plaigne de ne pas l’entendre suffisamment bien. Enfin, il n’est pas rare que l’apprenant parle avec une voix basse, confidentielle pendant l’interaction. Le professeur ne doit pas être trop éloigné afin de bien l’entendre. Il doit par contre veiller à ce que sa voix, tout en s’adressant à tel ou tel élève, porte suffisamment pour que l’ensemble du groupe la perçoive en permanence nettement.


1.3 L’attitude de l’enseignant.

Un enseignant bon technicien mais trop froid ou trop distant risque de ne pas remporter l’adhésion de ses élèves et le succès de la CP peut en pâtir. La remarque peut surprendre. Mais la correction phonétique n’est pas un acte anodin. Le professeur qui intervient sur un rythme, une intonation ou un segment non conformes s’empare ce faisant de la voix de l’apprenant qu’il modèle aux spécificités sonores de la L2. Il plonge aux racines mêmes de l’affectivité sonore de l’élève. Le praticien verbo-tonaliste doit veiller à avoir en permanence une attitude d’empathie et de congruence envers ses élèves : il comprend et respecte leurs difficultés, évite toute appréciation négative en cas d’échec, ne verse pas dans la démagogie ; dans le même temps, il est authentiquement impliqué dans l’acte de remédiation phonétique, son engagement est sincère, chose que l’élève perçoit d’ailleurs rapidement.

Le professeur doit manifester en toutes circonstances une compétence souriante. Sa voix, son regard sont essentiels. Sa manière d’occuper l’espace également. L’importance des facteurs non verbaux a été mentionnée à maintes reprises3. Le professeur doit être pleinement conscient de leur impact pendant la correction phonétique.

Il arrive parfois que l’enseignant fasse des commentaires, soit pour juger de la production (acceptable ou non, satisfaisante, excellente) de l’apprenant, soit pour expliquer ce qu’il fait en quelques mots. Ces commentaires lui permettent de faire baisser la tension, de rassurer ou de valoriser l’élève. Il n’est pas sûr que les apprenants comprennent toujours ce que leur dit le professeur. Mais, pour ce dernier, c’est une façon de manifester sa compétence et, parfois, de reprendre ses esprits quand il ne parvient pas à corriger efficacement ou est en butte à une difficulté inattendue dont il ne se dépêtre pas.

F021 ; F070 ; F072 ; F089 ; F091 ; F180 ; F181 ; F182 ; F183; F184 ; F185 ; F186 ; F187 ; F188 ; F189 ; F190 ; F191 ; F253 ; F254 ; F255 ; F256 ;

En aucun cas ces remarques professorales ne débouchent sur des explications prenant la forme de mini-exposés ou de bribes de cours. Comme déjà indiqué, la MVT évite toute intellectualisation. La compétence de l’enseignant se manifeste par son aptitude à réagir immédiatement à une erreur phonétique et non par un étalage de connaissances livresques.


1.4. Comment s’effectue le choix de l’item phonétique sur lequel intervenir.

Les interactions proposées correspondent à des moments réels de séances authentiques de correction phonétique en FLE. Nous sommes dans la vraie vie et non dans l’univers merveilleux d’un ouvrage de formation. Il en découle une série de conséquences.

Certains sons sont bizarrement produits, constituant des sortes d’intermédiaires entre le son attendu et celui qui a été réalisé. C’est ainsi que Tao, apprenant chinois, peut prononcer un [ʒ] ou un [d] pouvant sembler « à peu près corrects » mais où l’on perçoit une tension excessive nécessitant l’intervention du professeur. Diana, la jeune femme colombienne, use d’une sorte de stratégie d’évitement en parlant doucement, avec une voix « indistincte » accompagnant une tendance à l’hypo-articulation, toutes choses lui permettant d’esquiver ou escamoter certains problèmes phonétiques en LE. En cas de doute ou hésitation, le professeur doit réagir et solliciter l’apprenant.

Quand un apprenant répète un énoncé proposé par le formateur, il est très fréquent qu’il commette non pas une mais plusieurs erreurs.

Le professeur ne corrige qu’une erreur à la fois. La raison en est simple. Il s’agit d’attirer l’attention de l’apprenant sur un problème phonétique rencontré et de tout mettre en oeuvre afin qu’il reproduise un son se rapprochant peu ou prou du modèle souhaité en L2. L’interaction est dense, il n’y a pas de temps mort, le professeur propose un procédé correctif qui, s’il ne donne pas un bon résultat, est immédiatement remplacé par un autre… Dans la plupart des cas, on constate une amélioration, parfois l’élève ne parvient pas à se défaire de son erreur de départ. Mais le travail est rapide. Il est important de respecter la temporalité de la boucle de récapitulation articulatoire qui maintient l’information sonore active pendant deux secondes en mémoire de travail. Le professeur qui sollicite l’apprenant pendant cette fenêtre temporelle agit sur le son proposé par une succession de modèles correspondant au fond à des optimales correctives. L’apprenant est engagé dans une répétition active au cours de laquelle seul le dernier item répété est susceptible de passer dans sa mémoire à long terme, les formes précédentes étant effacées au fur et à mesure qu’elles sont remplacées par une nouvelle4. D’où l’importance de faire répéter le son attendu quand il est convenablement réalisé –en employant un geste conventionnel, jamais en verbalisant-. Petit-à-petit, c’est cette « bonne » forme activement traitée en MDT qui va venir se substituer à la représentation sonore erronée présente dans la mémoire permanente. Et cette « bonne » représentation en mémoire à long terme va à son tour influencer la perception initiale des sons qui vont ensuite être traités en mémoire de travail… Ce processus fondé sur une répétition non pas passive mais guidée demande toujours du temps, variable selon les individus.

Quelles sont les priorités de l’enseignant en d’autres termes comment et pourquoi sélectionne-t-il tel item à corriger et non pas un autre?

Rappelons que dans la MVT, le professeur accorde la priorité à un paramètre prosodique mal réalisé. Dans cette ressource, il n’y a pas de production incorrecte telle qu’un accent apparaissant à une place inadéquate ou encore une intonation mal réalisée. Cela tient au matériau pédagogique utilisé : des énoncés à reproduire courts et très contrôlés de la part des enseignants, ce qui a pour conséquence un risque limité d‘erreurs supra-segmentales. Il est très probable qu’elles seraient apparues en nombre si les apprenants avaient dû s’exprimer librement en oral spontané.

Si un segment V ou C est mal réalisé, le professeur corrige prioritairement une erreur d’ordre phonémique engendrant la confusion entre deux phonèmes. C’est ainsi que l’enseignant intervient systématiquement quand un hispanophone produit [s] à la place de [z], un Thaï [ʃ] au lieu de [ʒ], un Chinois [p] et non [b], un Russophone [u] alors que [y] était attendu, etc. Il est hors de question de laisser passer ces erreurs dont le traitement demande énormément de bonne volonté et de patience de la part des deux partenaires (professeur et élève) ;

Le professeur a intérêt à connaître les phonèmes les plus fréquents en oral spontané car ceci constitue également un critère de sélection des erreurs à corriger5. Les sons les plus courants dans une langue doivent faire l’objet d’une attention systématique, on peut éventuellement être plus indulgent pour ceux dont la fréquence d’apparition dans le discours est négligeable.

Pour ce qui est des consonnes, la situation est assez stable et les sons à acquérir sont ceux figurant dans le cf. DOC06. A ce propos, le son le plus fréquent en français est la consonne /ʁ/ qui est une perpétuelle source de difficultés pour beaucoup de groupes linguistiques. Quelle attitude adopter ? Si un élève le prononce « roulé » (Slave) ou « rétroflexe » (Anglophone), ceci est révélateur d’un accent étranger mais n’a aucune incidence sur la compréhension en français. D’où la tendance peut-être à ne pas tourmenter inutilement l’élève. D’autant plus que ce son jouit d’un statut particulier car synonyme de masculinité dans beaucoup de cultures où il est prononcé « roulé » d’où parfois une résistance psychologique. Quoi qu’il en soit, notre position est de proposer à l’élève de parvenir in fine à réaliser un [ʁ] « à la française » car, s’il est produit autrement, il signe toujours un accent étranger. On voit dans la ressource combien ceci demande d’efforts parfois. Cf. notamment notre apprenante russophone qui malgré une évidente bonne volonté ne parvient pas à se défaire d’une prononciation erronée et produit un « r » qui n’est ni russe ni français.

En ce qui concerne les voyelles, la situation est plus compliquée pour certains sons. Les oppositions à installer prioritairement sont rappelées dans la figure ci-dessous.

orales

Pour les orales,

  • les timbres /i/, /y/, /u/ sont unanimement distingués par tous les francophones et font de ce fait l’objet d’un travail systématique.

  • l’opposition /a/ - /ɑ/ est neutralisée au profit de /a/ ; on considère donc un bulle...archiphonème [A] ;

  • le problème le plus épineux provient actuellement des entités6 [E], [œ] et [O].

- en syllabe inaccentuée où elles sont réalisés brièvement, on observe une tendance à la fermeture ; ce sont les timbres [e], [ø], [o] qui sont favorisés.

- en syllabe accentuée, il faut être attentif au fait que seuls les timbres [O] et [Ø] sont possibles en syllabe ouverte (terminée par une voyelle prononcée : chapeau, manteau, barjot, mieux, veux, vieux, heureux…), [E] pouvant être réalisé [e] ou [ɛ] : thé [te] ou [tɛ], jamais [ʒame] ou [ʒamɛ], etc.

- en syllabe accentuée, de façon générale, la répartition des timbres est fonction de la nature de la syllabe : timbre « fermé » en syllabe ouverte (terminée par une V prononcée), timbre « ouvert » en syllabe fermée (terminée par une C prononcée), soit :



syllabe ouverte

syllabe fermée

[E]

[e]

[ɛ]

[Ø]

[ø]

[œ]

[O]

[o]

[ɔ]

Mais des contraintes diverses pèsent qui, selon les régions, peuvent restreindre cette loi générale (cf. Callamand citée en note 6 ainsi que les titres de la note 3).

Pour les nasales, il a déjà été signalé que l‘opposition /ɛ̴̃/ - /œ̃/ était en voie de disparition et qu’il importait de travailler sur les trois timbres figurant dans l’encadré.

1 Les dialogues ont été rédigés par Charlotte Alazard, Michèle Bergon et Henri Berdoulat. Ils ne sont pas reproduits dans les documents de travail. Ils servent simplement d’appui aux praticiens pour proposer des modèles sonores.

2 Au fait, qu’est-ce que la norme du français actuel ? L’oral est en évolution constante, il est impossible de le figer comme cela a été réalisé avec l’écrit grâce aux conventions orthographiques notamment. Sur la question de la norme et de son évolution, cf. BORRELL, A., & BILLIÈRES, M. (1989). L'évolution de la norme phonétique en français contemporain. La Linguistique, 25, fasc. 2, 45-62. Un questionnement relatif à la pédagogie de l’enseignement de la prononciation est à lire dans : BiLLIÈRES, M., & BORRELL, A. (1990). Quelques problèmes soulevés par les différentes variétés d'accent dans les méthodes de FLE. Revue de Phonétique Appliquée (94), 17-40.

En plus des ouvrages indiqués dans la bibliographie générale de la ressource en 4.3., on consultera également avec profit CARTON, F. (2000). La prononciation. In G. ANTOINE & B. CERQUIGLINI (Eds.), Histoire de la langue française 1945-2000 (pp. 25-60). Paris: CNRS Éditions ; TRANEL, B. (2003). Les sons du français. In M. YAGUELLO (Ed.), Le grand livre de la langue française (pp. 259-315). Paris: Seuil.

3 Cf. BILLIÈRES, M. (1989). Non verbal, phonétique corrective et didactique des langues. Revue de Phonétique Appliquée (90), 1-16. ; BILLIÈRES, M. (1990). L'impact du non-verbal dans le travail d'intégration phonétique. Paper presented at the Actes du VIIIème Colloque International SGAV, Ottawa. Sur l’importance de la voix en correction phonétique, BILLIÈRES, M. (1991). Considérations sur la voix en phonétique corrective appliquée à la didactique des langues. Cahiers du Centre Interdisciplinaire des Sciences du Langage (8), 3-26.

4 D’où aucun risque que l’apprenant retienne un non mot, un logatome ou une forme biaisée. Naturellement, le professeur doit toujours quitter l’élève en lui proposant l’énoncé de départ. S’il le répète bien, c’est la preuve que le processus d’engrammation est déclenché. S’il prononce mal, il faudra recommencer.

5 Cf. Wioland, 1991, p. 30 suiv.

6 Selon la terminologie de Callamand (1981) qui propose de très utiles tableaux synoptiques montrant les diverses réalisations de ces voyelles dites aussi « à double timbre » selon certains contextes (position dans la syllabe, nature de la syllabe…) et contraintes (distributionnelle, sémantique, étymologique…).