PHONÉTIQUE CORRECTIVE EN FLE
MÉTHODE VERBO-TONALE

LES RAISONS D'UNE PRONONCIATION DÉFECTUEUSE
EN LANGUE ÉTRANGÈRE

 

2.1. Raisons « individuelles » d’une mauvaise prononciation

La perception auditive varie considérablement d’un individu à l’autre. Dans la plupart des cas, cela n’a pas d’incidence notable hormis pour des personnes mal entendantes ou atteintes de troubles de surdité plus ou moins sévères.

Sur le plan pédagogique, deux éléments au moins doivent retenir l’attention préalablement à une explication des difficultés de prononcer correctement une langue étrangère.

• Tout d’abord, il se produit un phénomène naturel de perte d’audition avec l’âge. Ce phénomène appelé presbyacousie commence aux alentours de 16 ans et est irréversible. L’oreille devient de moins en moins sensible aux fréquences aigues au fur et à mesure que l’on vieillit et cette détérioration de l’audition peut avoir une incidence sur la reconnaissance de certains sons tels que [s], [z] ainsi que sur celle des mots avec parfois comme résultat une altération de la qualité de vie.

Une conséquence évidente est que plus on apprend une langue jeune plus on a de chances d’en capter les spécificités sonores... D’où l’intérêt d’exposer des enfants à une autre langue vivante très tôt1.

Dans tous les cas se pose la question de la formation des professeurs des écoles (on ne s’improvise pas enseignant de langue), la création de ressources pédagogiques utilisables à l’oral et adaptées précisément aux différentes tranches d’âge, la question essentielle du temps d’exposition en L2, etc.

• La notion de fatigue auditive est également à considérer. Entre autres facteurs, lorsque l’on se retrouve dans un milieu bruyant ou encore à certains moments de la journée, la sensibilité de l’oreille est affectée et il y a un décrochage en ce qui concerne la perception des fréquences hautes. Concrètement, des cours de langue étrangère doivent être placés à des créneaux horaires idoines et se tenir dans des salles réunissant de bonnes qualités acoustiques tant à l’intérieur que par atténuation des bruits provenant de l’extérieur (rue bruyante par exemple).

2.2. Le point de départ : une mauvaise perception des sonorités de la langue étrangère.

Le principe en est simple en apparence. Tout individu est conditionné par les spécificités sonores originales de sa langue maternelle. Elles déterminent la façon dont il « entend » les sons d’une autre langue.

2.2.1. Le phénomène de surdité phonologique.

La pierre angulaire de la MVT est illustrée par le concept de bulle...surdité phonologique en L2 telle qu’exposée dans les années 30 par le linguiste russe Polivanov qui fait cette constatation capitale : « Les bulle...phonèmes et les autres représentations phonologiques élémentaires de notre langue maternelle (par exemple les représentations d’accent en tant que non moins susceptibles, dans une langue donnée, de différencier les mots que les représentations de voyelles et de consonnes), se trouvent si étroitement liés avec notre activité perceptive que même en percevant des mots (ou phrases) d’une langue avec un système phonologique tout différent, nous sommes enclins à décomposer ces mots en des représentations phonologiques propres à notre langue maternelle.

En entendant un mot inconnu étranger (ou d’une manière générale un fragment de langue étrangère susceptible par son volume d’être par la perception auditive), nous tâchons d’y retrouver un complexe de nos représentations phonologiques, de le décomposer en des phonèmes propres à notre langue maternelle, et même en conformité de nos lois de groupement des phonèmes. Ce faisant, les divergences entre la perception et la représentation phonologique d’un mot donné dans la langue du sujet parlant, peuvent s’entendre non seulement à la caractéristique qualitative des représentations phonologiques (phonèmes, etc.) isolées, mais au nombre même des phonèmes contenus dans un complexe (un mot, etc.) donné. » (Polivanov, 1931, pp. 79-80)2.

2.2.2. La métaphore du crible phonologique.

C’est Troubetzkoy, le père de la phonologie, qui illustre quelques années plus tard ce concept de surdité phonologique en L2 par sa métaphore célèbre du bulle...crible phonologique : « Le système phonologique d’une langue est semblable à un crible à travers lequel passe tout ce qui est dit. Seules restent dans le crible les marques phoniques pertinentes pour individualiser les phonèmes. Tout le reste tombe dans un autre crible où restent les marques phoniques ayant une valeur d’appel; plus bas se trouve encore un crible où sont triés les traits phoniques caractérisant l'expression du sujet parlant. Chaque homme s’habitue dès l’enfance à analyser ainsi ce qui  est dit et cette analyse se fait d’une façon tout à fait automatique et inconsciente. Mais en outre le système des cribles, qui rend cette analyse possible, est construit différemment dans chaque langue. L’homme s'approprie le système de sa langue maternelle. Mais s’il entend parler une autre langue, il emploie involontairement pour  l’analyse de ce qu'il entend le "crible phonologique" de sa langue maternelle qui lui est familier. Et comme ce crible ne convient pas pour la langue étrangère entendue, il se produit de nombreuses erreurs et incompréhensions. Les sons de la langue étrangère reçoivent une interprétation phonologiquement inexacte, puisqu'on les fait passer par le "crible phonologique" de sa propre langue.» (Troubetzkoy, 1939, p.54)3. cf. DOC03

 

2.2.3. Quelques remarques à propos du crible phonologique.

Le postulat de la MVT considérant qu’une mauvaise perception des sons en langue étrangère est responsable de leur mauvaise (re)production repose sur une réalité avérée et paraît tout-à-fait logique. Il convient cependant de l’atténuer quelque peu, l’erreur étant de penser que la production serait un simple miroir de la perception, ce qui n’est certainement pas le cas4.

En langue étrangère, quatre configurations au moins sont susceptibles de se produire

  • mauvaise perception et mauvaise production. C'est le cas le plus fréquent avec les (faux) débutants ou même des gens possédant bien la L2 mais dont la surdité phonologique est intacte;

  • bonne perception et bonne production. Elle se produit quand l'apprenant a intégré toutes les unités de la L2 dans son crible phonologique et est capable de les restituer convenablement. De façon générale, beaucoup d’élèves réalisent des progrès plus ou moins sensibles mais atteindre une prononciation dénuée de toute trace d’accent étranger s’avère être très difficile sinon carrément utopique pour certains auteurs;

  • bonne production et mauvaise perception. Ce cas peut se produire quand le sujet produit un son dans son discours sans en avoir conscience. Il réalise une unité segmentale qui n'a pas statut de bulle...phonème dans sa langue. C'est le cas de l'hispanophone qui produit [z] devant une bulle...sonore -mismo, desde- mais qui en français affirme que sa femme est un "poisson" alors qu'il la voit effectivement comme un "poison". Le problème soulevé ici est celui de la distribution des unités, c’est-à-dire de l'ensemble des contextes et des positions où elle est susceptible d'apparaître. C'est un point important pour les pratiques MVT. Les problèmes de distribution expliquent certaines erreurs : le Russe prononçant [Rɔp] pour robe puisque la sonore s'assourdit en finale absolue; l'Espagnol voulant un [ɛstilo] pour stylo car /s/ est toujours produit [ɛs] à l'initiale absolue devant la consonne dans sa langue, etc. Le praticien au fait des problèmes de distribution entre les phonèmes soi-disant identiques de la langue source et de la L2 intervient beaucoup plus efficacement. Il perdra beaucoup plus de temps à éliminer l'erreur s'il les ignore5.

  • Bonne perception et mauvaise production. C’est ce qui se produit quand un étranger a conscience de la singularité du /R/ français qu’il ne parvient pas à réaliser et s’obstine à prononcer un « [r] « roulé ». Ou du Français qui entend bien les particularités correspondant à la prononciation du [ɵ] anglais qu’il réalise [z] faute de mieux…

De même, il est réducteur de considérer l'erreur commise par un apprenant en renvoyant au seul crible phonologique. L'état de son système d'écoute, son niveau d'expertise dans la L2, son degré de stress et la situation de communication sont également des paramètres à considérer, qui interviennent dans ce que nous avons appelé le crible psychologique de l'élève (Billières, 1988).

On pourrait également dire que la culture détermine la façon d’écouter d’une personne. Dans cette perspective, indiquons une « théorie » indiquée dans la fenêtre surgissante n° 2, que nous mentionnons car beaucoup d’institutions et de professeurs de langues en ont entendu parler essentiellement dans le cadre d’un marketing destiné à vendre du matériel aux établissements scolaires.

1 Existe-t-il un âge idéal pour débuter l'apprentissage d'une L2 ? Deux positions peuvent être défendues. La plus répandue est celle consistant à dire « le plus tôt sera le mieux ». Un autre point de vue suggère que le développement du très jeune enfant ne lui permet pas encore d'être suffisamment mature pour commencer l'étude d'un autre idiome. Certains travaux récents notamment issus de l'enseignement primaire immersif tel que pratiqué dans certaines écoles au Canada- suggèrent qu'il est inutile d'exposer un enfant à l'apprentissage d'une L2 avant 5 ans ou 5 ans et demi, car c'est à partir de cet âge qu'il développe en classe une plus grande faculté d'attention, des capacités de socialisation, ainsi qu'une conscience (méta)linguistique de plus en plus poussée. Cette question d'un "âge critique" chez les enfants fait actuellement l'objet de vifs débats chez les chercheurs.

2 Polivanov, E. (1931) La perception des sons d'une langue étrangère. Travaux du Cercle Linguistique de Prague, n° 4, pp. 79-96.

3 Troubetzkoy, N. S. (1967) Principes de phonologie, Klincksieck, Paris (2ème éd.). Édition originale : 1939.

4 Des données issues de la pathologie montrent qu'il est possible de bien prononcer tout en ayant une perception altérée, et inversement. Ce point ne sera pas discuté ici.

5 Cette remarque pose deux questions. 1) Le praticien peut-il connaître les systèmes phonologiques de tous les élèves qu'il a en cours? A l'évidence, non. 2) Il convient de se méfier des descriptions considérant que les sons de deux langues confrontées sont "identiques" ou "communs". Cette affirmation se retrouve souvent dans des manuels à base de phonétique articulatoire. Leurs auteurs négligent le facteur distributionnel des unités avec toutes les erreurs qui en découlent automatiquement en L2.