MÉTHODE ARTICULATOIRE ET MÉTHODE VERBO-TONALE
En matière de phonétique corrective appliquée à la didactique des langues, deux méthodes sont à la disposition des professeurs.
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La méthode verbo-tonale. Ses principes de base apparaissent à la lecture des séquences précédentes. L’utilisation technique de ses diverses procédures de remédiation sera exposée dans les séquences 5 et 6. Les vidéos illustrent et valident en permanence les divers procédés correctifs disponibles.
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La méthode articulatoire qui existait antérieurement à la MVT et reste de loin la plus répandue depuis des décennies.
Ce chapitre est divisé en deux temps. Tout d’abord nous aborderons
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les principes généraux et les fondements de la méthode articulatoire
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les raisons du succès de cette méthode ;
Ensuite, nous envisagerons les lacunes et les insuffisances de cette approche quand on aborde la correction phonétique en L2 dans une optique verbo-tonaliste. Cette présentation n’est en aucun cas polémique. Elle assure un exposé plus dynamique car faisant immédiatement ressortir certains avantages de la MVT tout en évitant des redites. Elle évite également de verser dans une controverse classique consistant à présenter ces deux approches comme reposant sur des principes diamétralement opposés comme suggéré ci-dessous de façon lapidaire et quelque peu manichéenne :
rapports |
méthode |
amélioration production ==> meilleure perception |
articulatoire (MA) |
amélioration perception ==> meilleure production |
verbo-tonale (MVT) |
Un praticien verbo-tonaliste reçoit une formation où la phonétique physiologique a toute sa part et il ne peut ignorer certains principes de la méthode articulatoire. Rien ne lui interdit d’y avoir recours si les procédés MVT ont échoué, ce qui arrive parfois…
La thèse qui sera défendue ici est que la MVT est un outil beaucoup plus souple, diversifié et puissant que l’approche articulatoire à condition d’être employée à bon escient par des professeurs formés tant au niveau théorique (indispensable, sinon les risques de dérive sont élevés) que sur le plan pratique, également indispensable car c’est en direct sur le terrain que se manifeste le savoir faire professoral.
Cette initiation théorique et pratique constitue toute l’ambition de la présente ressource numérique.
1. Les principes généraux et les fondements de la méthode articulatoire.
1.1. Les principes d’organisation d’une ressource.
La méthode articulatoire de correction phonétique (désormais MA) était déjà utilisée avant l’apparition de la méthode verbo-tonale et son succès ne s’est jamais démenti jusqu’à nos jours même s’il repose sur des résultats et appréciations souvent contestables. Rares sont les élèves qui se passionnent pour cette activité qui leur est le plus souvent imposée quand l’institution la propose, rares sont les professeurs avouant spontanément une passion immodérée pour la correction phonétique…
A priori, peu de choses distinguent un manuel des années 60 de celui des années 80 ou 90 voire plus récent. Les seules modifications sont d’ordre cosmétique avec des schémas plus colorés, des illustrations davantage variées et une présentation générale plus attrayante, mais pas toujours. Le contenu de tous ces ouvrages (papier ou à disposition sur le net) est toujours identique. La MA paraît intemporelle. Elle repose sur des présentations et des principes immuables1.
Dans les années 1970-1980, les manuels de phonétique corrective étaient bâtis autour des consignes "Écoutez" / "Répétez" / « Comparez » / "Lisez" combinées de différentes façons. Pour l'acquisition d'un son donné, ils proposaient des exercices consistant à reproduire des suites de mots isolés, de mots se distinguant selon le principe des oppositions phonologiques, de phrases contenant généralement plusieurs occurrences du son concerné. Ces livres comportaient souvent de nombreux exercices structuraux.
Depuis la fin des années 1980, les ouvrages de phonétique corrective présentent un aspect plus séduisant que leurs prédécesseurs, tant en ce qui concerne leur contenu qu'au niveau de la forme. Ils proposent des activités que l'on peut regrouper autour de cinq grands thèmes :
• exercices de perception et de discrimination auditive.
• exercices de répétition / intégration sur la base
- de mots isolés
- de courtes phrases
- d'exercices structuraux
- de micro-dialogues
- de comptines et de poèmes
• exercices de sensibilisation au rythme, à l’intonation et à des particularités du français oral : phénomènes de liaison, d’élision, d’assimilation…
• exercices portant sur la relation phonie / graphie, avec ou sans tableaux explicatifs.
• activités ludiques diverses.
La plupart de ces manuels incluent un cédérom incluant l’enregistrement de la majorité des exercices. De même, les sites web incluant des activités de correction phonétique donnent accès à de nombreux documents sonores pouvant être utilisés comme indiqué ci-dessus.
1.2. Les fondements de la méthode articulatoire de correction phonétique.
La méthode articulatoire repose sur un principe simple : il faut avoir une connaissance explicite de l’articulation d’un son pour pouvoir bien le prononcer.
Les exercices vont du plus simple au plus complexe. Ainsi, pour travailler le /y/, on franchira différentes étapes :
• sons isolés :
- son cible prononcé seul : [y[, [y], [y] …
- son cible opposé à un autre son « voisin » : [y] –[u]… ; [y] – [i]…
• sons dans syllabes isolées :
- [y] seul : [sy], [by], [vy], ([ly]…
- [y] en opposition avec un son « voisin » : [sy] [si] ; [sy] [su]…
• sons dans mots isolés :
- moulu ; fourbu ; rendu ; mur ; parure…
- [y] en opposition avec un son « voisin » : lit, lu, loup…
• sons dans membres de phrases :
le lustre ; un mur ; j’ai vu…
• sons dans phrases complètes ;
le lustre est suspendu ; il s’est heurté à un mur ; j’ai vu ce film la semaine dernière…
La démarche d’ensemble de la MA peut être résumée par la figure ci-dessous.
Figure n° 1 : La méthode articulatoire : vue d’ensemble.
On remarquera que le « canal auditif » est entouré en pointillés. Effectivement, la MA n’en fait pas grand cas car elle privilégie quasi exclusivement les aspects articulatoires.
Il est permis de se demander si le terme « méthode » convient à cette conception de l’enseignement de la phonétique. Car cette démarche ne repose sur aucune méthodologie. L’expression approche articulatoire paraît plus adaptée à cette vision du travail phonétique en L2.
On peut soutenir ce point de vue quand on analyse les manuels habituels de phonétique corrective.
La fenêtre surgissante n° 1 cf. DOC05 donne des indications plus poussées sur les principes théoriques et pratiques de la méthode articulatoire telle que pratiquée en Russie où la phonétique occupe une place centrale dans l’enseignement/apprentissage des langues étrangères. Pour prendre conscience des particularités articulatoires des sons de la L2, l’apprenant peut avoir à suivre des cours théoriques tendant vers une comparaison raisonnée des bases articulatoires des deux systèmes phoniques. Mais là encore, après lecture de ce document, peut-on parler de méthodologie ou de prescriptions catégoriques à appliquer impérativement ?
Une autre question surgit. La méthode/approche articulatoire repose-t-elle sur une démarche exclusivement empirique peut-elle se réclamer d’un courant scientifique ?
La théorie motrice (Motor Theory) de Liberman mérite d’être signalée2. Elle n’a aucune application pratique en didactique des langues -à notre connaissance- mais a largement inspiré des recherches en psycholinguistique.
Très succinctement, ce modèle stipule que l’auditeur perçoit correctement les sons paroliers et leurs différentes combinaisons car il est capable d’extraire les gestes articulatoires correspondants du signal acoustique émis par le locuteur. Un module phonétique assure un appariement direct entre le signal perçu et les segments phonétiques correspondants. Si le signal est peu intelligible –quelqu’un parle à voix basse ou il y a trop de bruit, par exemple-, l’auditeur recourt à ses connaissances pour en interpréter les parties dégradées et le reconstruire mentalement jusqu’à en reproduire une synthèse semblable au signal d’origine.
L’enfant n’a donc pas à « apprendre » dans sa L1 les correspondances entre sonorités parolières perçues et mouvements articulatoires associés. Le couplage s’acquiert naturellement au fur et à mesure du développement de son expérience langagière. Par contre, quand l’individu est exposé à une L2, il a affaire à des sons nouveaux et à des gestes articulatoires inédits.
L’intérêt de la théorie de Liberman est d’établir un rapport entre perception et production alors que la MA traditionnelle évacue tout ce qui se rapporte aux phénomènes et processus auditivo-perceptifs.
1.3. L’explication du « succès » de la méthode articulatoire de correction phonétique en L2.
La méthode articulatoire repose sur des pré-requis minimalistes en phonétique. Il suffit de savoir ce que recouvrent des expressions comme point d’articulation, degré d’aperture, consonne dentale ou encore voyelle postérieure pour comprendre les explications données dans les manuels, d’autant plus qu’elles ne sont pas développées et versent fréquemment dans le simplisme.
Elles sont en adéquation avec la formation superficielle qu’un professeur de langues reçoit en phonétique (si la matière fait partie de son cursus). Le plus souvent en effet, la formation du professeur de langue ne le prépare pas à affronter les problèmes liés aux erreurs portant sur la matière sonore. Il reçoit de nombreuses informations sur la manière de transmettre des savoirs se rapportant au lexique, à la morphologie ou la syntaxe.
Mais la phonétique constitue souvent le parent pauvre de son cursus. Soit elle est évacuée du programme de formation. Soit elle est présente sous la forme d'un enseignement de phonétique générale à base de phonétique articulatoire avec, éventuellement, un léger saupoudrage d'acoustique et maintes considérations relevant essentiellement de la phonologie. Au terme de ce parcours, le futur professeur a une vision peu glorieuse de cette discipline qu'il considère souvent comme ennuyeuse et rébarbative. La phonétique se réduit pour lui à une somme de connaissances livresques se résumant à des schémas et à des tableaux des voyelles et des consonnes, avec quelques vagues notions sur le rythme et l'intonation, le tout présenté au moyen d'une terminologie ésotérique.
Dans la salle de classe, le professeur est immédiatement confronté à des productions phoniques erronées. Il peut choisir de ne pas en tenir compte, considérant qu'une mauvaise prononciation ne constitue pas un obstacle majeur à la communication. Il peut décider d'y remédier. Mais comment faire? A quoi servent ses connaissances théoriques si elles sont inutilisables concrètement? L'acte de correction phonétique qui suppose une action efficace s'effectue en temps réel. En cas d'échec, l'enseignant a le sentiment d'avoir perdu la face devant les élèves et d'être pris au piège. Le découragement peut très vite s'emparer de lui. Il abandonne ce terrain miné au profit d'activités portant sur les autres éléments du code linguistique.
La méthode articulatoire est intemporelle en ce sens qu’elle n’a subi aucune évolution depuis des décennies. Ce sont toujours les mêmes schémas articulatoires qui sont proposés, les mêmes commentaires qui prévalent. Le professeur débutant est rassuré car il comprend les explications fournies. Le professeur plus expérimenté peut un jour décider de prendre à nouveau le problème de l’enseignement de la prononciation à bras le corps et recourir au énième manuel mis sur le marché par les éditeurs. Le professeur réfractaire à l’enseignement de la phonétique a beau jeu de dénoncer l’absence de nouveauté dans des ouvrages qui se ressemblent tous…
1 En raison des problèmes de copyright, nous n'intégrerons pas de schémas ou de batteries d'exercices issus de différentes méthodes destinés à illustrer notre propos. Mais beaucoup de ces ouvrages récents ou plus anciens sont disponibles dans les centres FLE ou les bibliothèques universitaires. De même, toute librairie vendant des ouvrages FLE a toujours en rayon les manuels de phonétique actuellement disponibles.
2 LIBERMAN, A. L., et al. Perception of the speech code. Psychological Review, n° 74, pp. 431-61, 1967 ; LIBERMAN, A. L.;MATTIGLY, I. G. The Motor Theory of Speech Production Revisited. Cognition, n° 21, pp. 1-36, 1985.