PHONÉTIQUE CORRECTIVE EN FLE
MÉTHODE VERBO-TONALE

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LES FONDEMENTS DE LA MÉTHODE VERBO-TONALE D'INTÉGRATION PHONÉTIQUE


2. L’importance du corps dans la perception et la production des sonorités parolières.

Il s’agit là d’un autre aspect essentiel et original de la MVT affirmé dès ses débuts par Guberina à travers ce qu’il a appelé les « valeurs de la langue parlée » qui concerne tous les moyens non lexicologiques du langage, soit : a) moyens auditifs de communication: rythme, intonation, intensité, tempo de la phrase, pause; b) moyens visuels de communication: situation, gestes, mimiques.

Voici comment Guberina les résume dans un article de la Revue de Phonétique Appliquée : « L’ensemble acoustique de toutes les langues contient certains facteurs structuraux qui sont immanents à notre être biologique. La tension, l’intensité, le rythme les tonalités sont des formes biologiques de l’homme. Celui-ci vit biologiquement et physiologiquement grâce aux tensions et détentes, aux intensités, rythmes et tonalité qui, eux-mêmes, ont leur structure et permettent la perception structurale du monde; ils permettent aussi le dialogue entre l’homme et le monde extérieur » (1965, 151).

Le commentaire de cette citation va permettre de découvrir certains aspects essentiels de la MVT directement utilisables dans les pratiques de classe.

 

2.1. Le son est le résultat d’un mouvement.

Tout son est produit par des mouvements corporels, l’action complexe de muscles, de tendons, de ligaments selon des alternances de tension et de détente. Avec une conséquence très importante que les vidéos MVT de la présente ressource illustrent abondamment : le geste peut être facilitateur pour la réalisation d’un son, d’un rythme ou d’un mouvement intonatif défectueux.

En MVT, l’usage est de considérer la corrélation entra la bulle...macro-motricité et la bulle...micro-motricité.

La macro motricité renvoie à la motricité visible, celle du corps. Il n’est que de voir que lorsque nous parlons nos gestes servent notamment à scander, rythmer, ponctuer notre discours et il existe une correspondance étroite entre la production de mouvements rythmico-intonatifs (groupes prosodiques) et une gestuelle corporelle globale qui leur est spontanément associée.

Cette macro motricité, visible, est corrélée à une gestualité le plus souvent invisible, beaucoup plus fine, très spécialisée, nécessaire à la production des sons de parole, appelée micro motricité. Cette gestualité phonogène est le fruit de l’action de plusieurs organes dont aucun au départ n’est dédié à la production des sons de parole. Il n’est peut-être pas inutile de la rappeler ici. Sa description est particulièrement complexe car il convient de ne pas envisager les seules unités sonores que sont les voyelles et les consonnes mais aussi leurs regroupements en syllabes et en groupes rythmico-intonatifs…

Cette gestualité phonogène abondamment exploitée en MVT est ignorée de l’approche articulatoire qui présente des sons figés à travers les schémas et les commentaires qui y sont associés et qui ne prend nullement en compte le rôle du corps dans la perception et la production des sonorités parolières.

La gestualité corporelle inclut bien entendu les postures, les attitudes et les mimiques sur lesquelles nous reviendrons.

Cette importance du corps en MVT est abondamment exploitée en orthophonie par l’intermédiaire des rythmes corporels dont le but avec les enfants sourds est de permettre, grâce à des mouvements optimaux, une sorte d'imprégnation motrice mettant son corps en état de produire le son ou la syllabe attendus1.

Ces mouvements, loin d'être arbitraires, présentent des caractéristiques s'accordant avec les mouvements articulatoires produisant les sons paroliers. Le même geste articulatoire est susceptible d'être produit grâce à des mouvements corporels fort variés. Le rééducateur n'y trouve que des avantages. Il a à sa disposition une palette gestuelle associant macro-motricité et micro-motricité. Ceci lui permet aussi d'éviter un conditionnement entre un geste corporel précis et un son donné; le mouvement corporel est au service de la production d'un son, mais le son doit à terme pouvoir être produit spontanément. Il peut enfin toujours intervenir en fonction de l'erreur commise par l'enfant.

 

2.2. La priorité accordée au rythme et à l’intonation.

Elle est soulignée d’emblée en MVT. L’intonation relie entre eux tous les sons et porte l’unité de la phrase. Elle est composée des éléments physiques des sons (hauteur, intensité, durée) ainsi que de leur organisation dans le temps (structures rythmiques et pauses). Rythme et intonation sont de fait étroitement liés. Qui plus est, ces deux paramètres sont véhiculés par les fréquences graves auxquelles le corps est particulièrement sensible.

En orthophonie, tout travail sur le corps s’accompagne également d’exercices de stimulations musicales –sur la base de comptines, de chansons-, complémentaires de ceux portant sur le rythme corporel.

Dans l’enseignement des langues, l’importance de l’intonation est constamment soulignée dans la préface de la 1ère méthode structuro-globale audio-visuelle (bulle...SGAV) dont les deux auteurs sont Paul Rivenc et Petar Guberina. Il s’agit de Voix et images de France (VIF), 1960, où on lit : « Toute [la] méthode est basée sur l’étude des structures de la langue par l’intonation et le rythme… », et encore « C'est sous la forme de l'unité acoustique de la phrase réalisée dans l'intonation que l'étranger apprendra la plupart des sons français en tant que tels. Et c'est ainsi que les sons, tout aussi bien que les mots, seront, au fur et à mesure, assimilés grâce aux structures. « .

De même, l’intonation est prioritaire pour la bonne perception/restitution des voyelles et des consonnes. Produite par l’ensemble du corps, elle aide le cerveau et assure une meilleure mémorisation : « […] il faut surtout insister sur l'imitation la plus fidèle de l'intonation dans toutes les parties de la leçon : c'est par cette imitation de l'intonation, qui est une stimulation physiologique, que les ensembles de phrases vont s'ancrer dans le cerveau de l'étranger.»

Là encore le côté novateur de la MVT se doit d’être souligné. En 1960, les linguistes ne s’intéressaient guère à l’intonation. Les raisons sont connues : l’intonation reflète l’état psychique du sujet et ressortit dès lors de la psychologie ; elle ne se laisse pas analyser dans le cadre de la double articulation ; les signes intonatifs ne sont pas arbitraires et discrets, contrairement aux phonèmes, etc.

Un autre passage de la préface de VIF mérite notre attention car il illustre bien ces valeurs de la langue parlée prônées par Guberina et établit le rapport entre intonation et corps « … nous avons cherché à enseigner, dès le début, la langue comme un moyen d’expression et de communication faisant appel à toutes les ressources de notre être : attitudes, gestes, mimiques, intonations et rythmes du dialogue parlé. Nous voulons que l’élève change, en partie, de personnage : qu’il oublie, en partie, le rôle qu’il joue, depuis son enfance, avec des partenaires de sa propre nationalité et de sa propre langue, pour entrer un peu dans la manière d’être et de parler des français ». (VIF, 1960).


2.3. La prise en compte de l’affectivité.

Cette conception de la communication humaine et de l’action remédiatrice où l’importance du corps est reconnue et la priorité accordée au rythme et à l’intonation fait directement intervenir l’affectivité. Ce terme est très tôt revendiqué dans la littérature verbo-tonale.

De fait, on ne communique pas sans affectivité. Une intonation n’est jamais neutre mais véhicule toujours une charge affective. Celle-ci se manifeste également dans le jeu des mimiques, des attitudes, des gestes, des changements de posture, etc. Les sentiments et les émotions que nous exprimons ou par lesquels nous réagissons aux propos d’autrui sont reflétés et transmis par le corps autant que par la voix.

L’importance de l’affectivité est revendiquée en orthophonie et fait partie intégrante de la thérapie. Ce thème est également reconnu dans le domaine de l’enseignement/apprentissage des langues étrangères où il est toutefois plus délicat à aborder. Pour paraphraser la terminologie de Schiffler2, un professeur de langue qui pratiquerait la MVT en adoptant un « style dominateur (autocratique) » courrait irrémédiablement à l’échec. Dans sa relation avec les apprenants, il doit faire constamment montre d’un style dit « socio-intégratif » se traduisant par une attitude de proximité, de compréhension d’autrui, de reconnaissance de ses difficultés et de ses progrès. Le professeur est souvent en butte à l’inhibition phonétique de certains apprenants et la prise en compte des facteurs affectifs est d’une aide précieuse (cf. aussi séquence n° 8).

 

1On trouvera des descriptions précises de ces rythmes phonétiques dans Vial & Schwidtbauer-Rocha (1972) avec des annotations et indications bibliographiques supplémentaires dans Billières (2002) Le corps en phonétique corrective dans Apprentissage d'une langue étrangère/seconde 2.La Phonétique verbo-tonale. (R. Renard, coord.) Bruxelles, De Boeck Université, 333 p. (coll. Pédagogies en Développement), pp. 37-70.

2 Schiffler, L. (1984) Pour un enseignement interactif des langues étrangères Paris, CREDIF, Hatier (coll. LAL), p. 43.