LA PLACE DE LA PHONETIQUE CORRECTIVE
EN DIDACTIQUE DES LANGUES
La pratique de la phonétique corrective en classe de langue est souvent ressentie comme un moment délicat : à quel endroit du cours placer cette activité, quels exercices proposer, de quelle façon et pendant combien de temps, faut-il y recourir régulièrement ou occasionnellement, comment surmonter les éventuels blocages ou échecs rencontrés tant par les apprenants que l’enseignant ?..
Cette séquence apporte des éléments de réponse en envisageant
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une définition graduée de la phonétique corrective destinée à en souligner les richesses et potentialités ;
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une vision de la phonétique corrective intégrée à des activités de communication à l’oral en langue étrangère ;
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un panorama des activités possibles faisant intervenir la phonétique corrective
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un bref historique de la place de la phonétique corrective en didactique des langues étrangères.
Ces indications seront à compléter en lisant la séquence n° 8 consacrée à l’organisation d’une leçon de phonétique corrective. La séquence n° 3 relative aux fondements de la méthode verbo-tonale contient également des informations complémentaires à certaines données développées en infra.
1. Une définition de la phonétique corrective par paliers successifs.
Il est possible d’avoir une vison limitée de la phonétique corrective comme de l’envisager de façon plus ambitieuse, ce que cette section se propose de démontrer en en donnant une définition de plus en plus ouverte par paliers successifs.
1.1. Palier 1 : phonétique corrective appliquée aux éléments segmentaux.
La phonétique corrective sert à corriger la prononciation incorrecte des sons, voyelles et consonnes, en langue étrangère. C’est la définition qui vient spontanément à l’esprit de la plupart des enseignants et des apprenants.
C’est sur ce principe que sont construits la grande majorité des manuels de phonétique disponibles sur le marché des langues ainsi que des moyens disponibles dans les sites FLE sur internet. Certaines de ces ressources se veulent généralistes et concernent tous types de publics, d’autres ciblent des groupes linguistiques définis. De façon classique, des groupes de sons posant problème sont présentés, par exemple [i] vs [y] vs [u] ou bien l’opposition [p] vs [b] vs [v], etc. avec toutes une gamme d’exercices censés permettre aux apprenants de s’approprier à terme les sons posant problème.
Dans ces ressources, il arrive que l’attention porte exclusivement sur les seules voyelles et consonnes. Certaines publications proposent également des activités portant sur le ...rythme et l'...intonation avec deux variantes de présentation : a) le rythme et l’intonation font l’objet d’une partie bien distincte de celle portant sur les voyelles et les consonnes ; b) des exercices sur le rythme et l’intonation sont inclus à l’intérieur des séquences pédagogiques portant sur les oppositions de sons à maîtriser et se trouvent généralement relégués en fin de chapitre1.
1.2. Palier 2 : phonétique corrective incluant le rythme et l’intonation
En plus de travailler sur l’éradication des erreurs portant sur les voyelles et les consonnes, le praticien de phonétique corrective inclut également des activités relevant de la ...prosodie, c’est-à-dire relatives au rythme et à l’intonation qui peuvent provisoirement être définies comme l’enveloppe sonore globale regroupant des suites de segments –voyelles, consones- selon des règles d’organisation différentes d’une langue à l’autre.
La prosodie est exposée plus en détails dans la séquence n° 6.
Pour le moment, retenons deux faits importants dans le cadre du présent exposé.
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Le rythme parolier est un phénomène extrêmement complexe. Il faut bien comprendre que les configurations rythmiques ont une influence directe sur la mélodie des énoncés.
En cela, le rythme est à la base même de la production parolière.
Il est facile pour le français d’illustrer cette affirmation à partir de suites sonores hors contexte composées des mêmes voyelles et consonnes mais dont la segmentation en ...groupes rythmiques différents provoquera de spectaculaires changements de sens1.
Exemple 1 : la séquence sonore
donnera, en fonction de la segmentation rythmique,
a) il est énorme et m’embête
b) il est énormément bête
c) il est ténor mais m’embête
exemple 2 : la séquence sonore
donnera, en fonction de la segmentation rythmique,
a) les poubelles sont là
b) les poux, belle, sont là
c) l’époux bêle son « la »
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l’intonation est la forme globale sonore produite et perçue en termes de variations de hauteur le long des syllabes successives d’un énoncé. Toutes choses égales par ailleurs, les exemples ci-dessus montrent bien que la configuration rythmique influence directement les réalisations intonatives.
D’où l’affirmation selon laquelle
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le rythme est le moule de l’intonation ;
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la mise en place du rythme est une priorité absolue en phonétique corrective. Il en découlera notamment une meilleure perception des variations intonatives.
En quoi l’intonation est-elle importante en phonétique corrective. Prenons l’exemple de l’énoncé
Elle est belle la mariée
Qui peut être intoné de bien des manières différentes et exprimer une multitude de nuances et sentiments allant de l’admiration énamourée à l’incrédulité, au doute, à la suspicion, voire à l’ironie cinglante où l’intonation exprime exactement le contraire de ce que les mots veulent dire !..
L’intérêt de l’intonation est double dans la perspective d’apprentissage d’une langue étrangère
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elle véhicule des nuances qui peuvent absolument ne pas être perçues par un non natif avec tous les risques d’incompréhension et de quiproquo que cela peut engendrer. Une intonation montante peut être comprise comme une simple question alors qu’elle traduit une précision de doute, d’incrédulité, de surprise, de désapprobation selon la place d’une pause éventuelle, l’allongement d’une syllabe, le contraste de durée ou de hauteur entre deux syllabes, les accentuations utilisées, etc. …
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elle apporte un plus informationnel à la valeur des mots et donne de ce fait un espace de liberté au locuteur en lui permettant de nuancer et de clarifier son propos.
1.3. Phonétique corrective et posturo-mimo-gestualité
Parler c’est bouger en permanence, écouter quelqu’un c’est également réagir à ses propos par des mimiques, des gestes, des changements de posture, des manifestations vocales diverses. Bref, la parole c’est du mouvement et les sons de parole sont les produits de mouvements complexes produits par l’ensemble du corps.
En phonétique corrective, cette notion de geste peut être comprise à deux niveaux.
- Un 1er niveau est technique. Le geste est facilitateur pour la production d’un son, d’un rythme ou d’une intonation. Ceci est constamment illustré dans les vidéos de la ressource numérique et trouve sa justification théorique dans les séquences 5 et 6.
- Un 2ème niveau est davantage culturel. Le geste est élément de signification. En FLE, une catégorie de gestes a été particulièrement étudiée (cf. en bibliographie les travaux de Calbris et Montredon). Il s’agit de ceux que l’on appelle gestes emblématiques ou quasi linguistiques car ils accompagnent un cliché verbal produit avec une intonation spécifique. ils peuvent également être produits seuls, ce qui est économique. Que l’on songe au geste et à l’intonation associée à des expressions telles que j’en ai ras le bol, il est complétement fou ce type, mon œil !, pas question !, etc. Ces gestes que l’on fait sans même y penser peuvent revêtir une signification différente ou bien ne pas avoir d’équivalent dans une autre culture.
Un praticien de phonétique corrective peut éventuellement intervenir pour sensibiliser des apprenants à l’interprétation correcte de ces gestes à forte connotation culturelle.
A ce stade de la démonstration, il importe de bien avoir à l’esprit que
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l’articulation des sons est le résultat d’une gestualité complexe sollicitant l’ensemble du corps. La phonétique corrective articulatoire néglige ceci et réserve ses commentaires à une zone généralement circonscrite entre le larynx et les fosses nasales. Par contre, les orthophonistes ou les professeurs de chant et de théâtre sont conscients de l’engagement corporel nécessaire à l’émission d’un son et en tiennent compte dans leurs pratiques;
Les voyelles et les consonnes successives d’une suite parolière forment des syllabes qui sont elles-mêmes incluses dans des ensembles plus vastes communément appelés ...groupes rythmiques. Ici, il est plus adéquat d’écrire que cette concaténation de voyelles et de consonnes s’emboîte à l’intérieur de véritables mouvements rythmico-intonatifs. Il est facile de constater qu’une montée de la voix s’accompagne généralement de l’élévation de segments du corps (bras, main, tête, buste…) et qu’une voix descendante s’associe souvent avec une gestualité corporelle idoine (inclinaison de la tête vers le bas, abaissement du buste, geste plongeant de la main, etc.). Et ce quelle que soit la langue.
1 Une étude diachronique des manuels de phonétique corrective en FLE publiés depuis les années 60 fait ressortir l’ensemble de ces points.
2 Le français se prête particulièrement bien à ces quiproquos à base d'interprétations volontiers absurdes mais utilisés par des humoristes de talent comme Raymond Devos ou Pierre Desproges. Remarquons qu'il est nécessaire de créer un mini contexte afin d'interpréter au mieux ces différences sémantiques…