PHONÉTIQUE CORRECTIVE EN FLE
MÉTHODE VERBO-TONALE

LES FONDEMENTS DE LA MÉTHODE VERBO-TONALE D'INTÉGRATION PHONÉTIQUE


La méthode verbo-tonale (désormais MVT) présente plusieurs caractéristiques originales qu’il importe de connaître afin d’en comprendre le fonctionnement et l’utilisation concrète qui peut en être faite par un professeur de langue vivante.

Dans cette séquence, nous verrons successivement

  • les origines de la méthode qui tire son nom d’une conception nouvelle de l’audiométrie ;

  • la notion d’optimale, illustration concrète du principe du crible phonologique en langue étrangère ;

  • l’importance du corps pour la perception et la production des sonorités parolières ;

  • le statut privilégié de l’intonation et du rythme ;

  • la prise en compte de l’affectivité ;

  • le principe de polysensorialité.


1. Les origines de la méthode

La méthode verbo-tonale a été élaborée dans le courant des années 1950 par Petar Guberina (1913-2005), professeur de français à l’université de Zagreb (Croatie) et directeur du Laboratoire de Phonétique de cette institution. Ses recherches se sont simultanément développées dans deux directions : l’amélioration de la prononciation des étudiants croates apprenant le français et la rééducation des malentendants. Les principes de base définissant la MVT découlent de l’interaction constante entre ces domaines et ces deux types de publics.

La genèse de la méthode ne peut être comprise qu’en renvoyant à l’ensemble de ces travaux avant de s’attacher plus précisément à ceux ayant trait à l’enseignement du français comme langue étrangère.

En ce qui concerne les étudiants de français, Guberina est frappé par le caractère systématique des erreurs phonétiques qu’ils commettent. Ainsi, un étudiant croate a très souvent tendance à prononcer [u] à la place de [y] et à réaliser [e] au lieu de [ø]. Les personnes atteintes de troubles plus ou moins sévères de surdité sont nombreuses à l’époque. Il s’agit des conséquences des bombardements de la Deuxième Guerre mondiale. Guberina et son équipe interviennent dans le diagnostic du type de pathologie de ces durs d’oreille –appellation de cette période- afin de les équiper de la prothèse auditive la mieux adaptée à leur cas.

Les étudiants de français comme les personnes malentendantes sont soumises à différents tests au moyen d’appareils destinés à mesurer leur audition. C’est ce que l’on appelle l’bulle...audiométrie. Pour chaque personne, les résultats obtenus sont reportés sur un graphique appelé audiogramme, dont l’interprétation permet d’évaluer le degré de perte auditive ainsi que les zones atteintes et, partant, de poser un diagnostic.

Les lecteurs désireux de prendre connaissance des divers types de surdité ainsi que de la façon d’interpréter des audiogrammes peuvent se rendre à l’adresse http://audition.free.fr

 

1.1. Les différents types d’audiométrie

A l’époque de Guberina, on utilisait différents appareils permettant de faire varier les sons en hauteur et en intensité.

Deux techniques de mesure de l’audition étaient couramment employés : l’audiométrie tonale et l’audiométrie vocale. Ces deux techniques ont actuellement toujours cours avec des variantes dans les procédures et les protocoles de passation.

Le chercheur de Zagreb y a eu recours mais a émis un certain nombre de critiques à leur encontre, ce qui l’a conduit à mettre au point l’audiométrie verbo-tonale.

Examinons d’abord rapidement les principes de base de ces deux types d’audiométrie avant de voir sur quelles lacunes constatées Guberina a mis sa propre méthode au point.

 

1.1.1. L’audiométrie tonale.

Il s’agit d’un simple test perceptif permettant de mesurer la sensibilité de chaque oreille d’un sujet à certaines fréquences déterminées (notées en Hz) reportés sur l’axe des abscisses sur l’audiogramme. L’intensité (exprimée en dB) à partir de laquelle le sujet perçoit le son émis à une fréquence donnée est indiquée sur l’axe des ordonnées.

L’interprétation des audiogrammes se trouve aisément sur le web. Un site sympathique à visiter pour une 1ère approche globale est 
http://www.lyc-briand-gap.ac-aix-marseille.fr/tpe_2003_2004/les_sons/index.htm

La technique la plus employée consiste, pour chaque oreille, à faire entendre un son généré par la machine et appelé « son pur » ou « bruit blanc ». Le sujet perçoit par voie aérienne (il est appareillé avec un casque) et par voie osseuse (il est doté d’un instrument appelé vibrateur placé sur la mastoïde à l’arrière du conduit auditif). Dès qu’il perçoit un son pour une fréquence déterminée, il fait un signe au praticien qui note l’intensité correspondante sur le graphique.

L’audiogramme indique deux courbes au final : celle correspondant à la perception par voie aérienne et celle correspondant à la perception par voie osseuse.

Si ces deux courbes sont positionnées en haut de l’audiogramme tonal, le sujet a une audition normale par rapport à la norme moyenne. Si l’une des deux courbes plonge vers le bas, elle permet de poser le diagnostic d’un type de surdité : surdité de perception due à une lésion de l’oreille interne, surdité de transmission due à une altération de l’oreille moyenne ou externe, surdité mixte due à une résultante des deux autres atteintes.

Les personnes intéressées peuvent consulter le portail http://bruckhof.pagesperso-orange.fr/liens/annuaire.htm qui les dirigera vers des sites développant l’ensemble de ces questions.

 

1.1.2. L’audiométrie vocale.

Elle est basée sur des listes de mots-tests dont on contrôle l’intelligibilité par la répétition ou d’autres moyens tels que la désignation d’objets, le dessin, l’évocation gestuelle… Il existe plusieurs listes élaborées à diverses périodes et généralement indiquées par le nom de la personne qui les a établies.

Dans les années 50, les listes à disposition étaient composées de sons, de syllabes, de mots isolés ou insérés dans de courtes phrases. Les phonèmes sélectionnés l’étaient principalement en fonction de leur fréquence d’apparition dans la langue considérée. L’intensité était un paramètre essentiel pour ce type de test car c’est grâce à partir de tel ou tel seuil niveau sonore que le mot et/ou le phonème cibles étaient détectés, éventuellement reconnus et reproduits.

 

1.1.3. La mise en place de l’audiométrie verbo-tonale

Guberina commence ses investigations au Département de français de l’université en utilisant un filtre octave prêté par Radio Zagreb. Rapidement, il met en évidence que des zones de fréquence très limitées, généralement d’une bulle...octave, pouvaient rendre intelligibles un son, un mot ou une phrase. Prenons un exemple tiré d’un des ses articles : « […] je me suis aperçu qu’on son du langage ou un mot est mieux perçu et compris dans un octave déterminé. Par exemple le mot [mou] est mieux perçu entre 200-400 Hz ; la syllabe et le mot [si] entre 6.400 et 12.800 Hz. Dans tous les autres octaves, on percevait un autre son du langage. Par exemple, [si] est perçu comme [ʃi] entre 1600-3200 Hz 1».

Avec ses collaborateurs, il met au point au milieu des années 50 un appareil appelé SUVAG. De façon très schématique, cet auxiliaire technique est destiné à permettre des manipulations précises de bandes de fréquences plus ou moins étendues en agissant sur divers filtres qui éliminent des fréquences aigues ou graves et ne permettent d’entendre que des plages fréquentielles sélectionnées en agissant également sur l’intensité. Un nombre important de malentendants et d’étudiants de français sont soumis à différents tests au moyen de ces appareils2.

Le SUVAG sera massivement utilisé pour l’établissement du diagnostic de surdité ainsi qu’en orthophonie pour le travail de rééducation auditive afin de renforcer les « restes auditifs, c’est-à-dire les plages de fréquences encore saines par un phénomène dit de « transfert » destiné à améliorer la perception de certains sons. Les sites d’orthophonie MVT relaient ces informations et décrivent les différentes procédures de réhabilitation. A partir des années 80, les implants cochléaires, puis le développement d’aides auditives diverses, limitent l’utilisation de ces appareils.

Dans le domaine de l’enseignement des langues étrangères, il avait été mis au point un Suvag Lingua de classe utilisable par un enseignant spécialement formé et disposant éventuellement de ce type de matériel à employer que si tous les autres procédés de correction phonétique ont échoué. Une présentation et une proposition de méthodologie pour cet appareil sont à lire dans Cureau et Vuletic, 1976 (cf. bibliographie MVT). A notre connaissance, cet auxiliaire technique avait peu été employé dans les salles de classe pour d’évidentes raisons de coût, de disponibilité et de possibles répercussions négatives chez les élèves assimilés à des durs d’oreille.

Guberina fait une découverte majeure : l’oreille est toujours très sensible aux changements de hauteur (on disait aussi tonalité à l’époque). Ses premières recherches qui portaient sur les entendants lui ont permis de mettre en évidence que les voyelles et les consonnes étaient facilement identifiées quand proposées dans des zones fréquentielles spécifiques qu’il appelle des « bulle...optimales » (cf. infra). Mais l’oreille défectueuse du malentendant réagit également à des variations de hauteur et ce quel que soit le type de surdité (de perception, de transmission ou mixte)3.

Or, les deux autres types d’audiométrie négligent le paramètre de hauteur :

  • L’audiométrie tonale propose de faire entendre des sons purs qui sont artificiellement produits et n’existent pas dans la nature, soit dans l’environnement naturel d’un sujet.

  • L’audiométrie vocale se base sur l’intelligibilité de listes de mots tests contrôlés et proposés à différentes intensités ; elle ne tient pas suffisamment compte du facteur de la hauteur qui entre en ligne de compte dans chaque groupe de sons.

Observant en effet que les différentes maladies de l’oreille la font réagir différemment aux différentes hauteurs, Guberina décide d’étudier la tonalité des sons en examinant comment les différentes affections de l’oreille font capter les sons et les groupes de sons se trouvant dans les mots.

Il mène ses travaux en ayant toujours recours à des stimuli de la parole (verbo) afin d’évaluer la sensibilité auditive aux différentes fréquences (tonal).

 

1.2. La notion d’optimale

C’est une découverte essentielle de la MVT. Un son de parole ou un mot est mieux perçu et compris dans une octave déterminée. Donnons un exemple précis avant de le commenter.

Supposons qu’un enseignant utilise un Suvaglingua avec un élève relié à la machine par un casque. Le professeur prononce au micro en permanence le son [i] mais en changeant à chaque fois de bande de fréquence correspondant aux filtres d’octave de l’appareil. En fonction du réglage, l’élève entend successivement

  • [u] entre 150 et 300 Hz
  • un son intermédiaire entre [u] et [o] entre 300 et 600 Hz
  • [o] entre 400 et 800 Hz
  • [ɔ] entre 600 et 1200 Hz
  • [ɛ] entre 1200 et 2400 Hz
  • [e] entre 1600 et 3200 Hz
  • [i] relâché entre 2400 et 4800 Hz
  • [i] tendu entre 3200 et 6400 Hz4

Ceci s’explique par le fait que l’audition et un phénomène discontinu.

Le cerveau ne perçoit jamais tout le spectre d’un son mais seulement certaines de ses parties. Il filtre une partie de l’ensemble fréquentiel d’un son, élimine les composantes fréquentielles qui ne sont pas nécessaires pour sa reconnaissance pour ne conserver que celles nécessaires à son identification. L’exemple ci-dessus montre bien que [i] est perçu « relâché » ou « tendu » quand proposé dans des fréquences dites optimales pour sa bonne identification ; son identification est altérée quand on le fait entendre en sélectionnant d’autres plages fréquentielles. Ceci montre que :

  • le cerveau remanie et interprète en permanence l’information acoustique, de façon variable selon les sujets en fonction de leur audition saine ou pathologique, mais également de leur expérience sensorielle, sans oublier d’autres effets circonstanciels tels que les éléments du contexte, la situation de communication…

  • un son, un groupe de sons ou un mot contient en lui-même tous les sons si on le transmet par le canal direct ; chaque voyelle contient en fait toutes les voyelles, il en va de même pour les consonnes. Ce n’est pas l’oreille normale qui garantit une audition correcte mais le cerveau.

Ces considérations sur le cerveau permettent à Guberina de parvenir à la conclusion que l’être humain a un comportement bulle...structuro-global, tant en production qu’en perception. Précisons qu’il propose cette vision originale du fonctionnement cérébral à une époque où la psycholinguistique n’était pas encore née.

La découverte des optimales est à la base du travail de rééducation des malentendants et tous les orthophonistes équipés d’un SUVAG connaissent naturellement les plages fréquentielles caractéristiques des sons de la langue sur laquelle ils interviennent. Pour un professeur de langue, connaître les valeurs des optimales n’est pas indispensable mais en comprendre le principe est essentiel car il illustre parfaitement que des sons appartenant à des langues différentes présentent toujours des spécificités perceptives propres. Le principe des optimales est une excellente illustration du bulle...crible phonologique.

A titre d’illustration, les optimales de quelques sons du français et de l’anglais sont indiquées dans la fenêtre surgissante n° 1 cf. DOC04.

 

1 Il s’agit d’un article publié dans Le Courrier de Suresnes. Centre National d’Études et de Formation pour l’Enfance inadaptée, n° 58, 1992 (réédité en 1997), intitulé « La Méthode Verbo-Tonale en 1992 ». Tous les textes sont entièrement consacrés à l’orthophonie mais le lecteur intéressé y trouvera notamment la description technique des appareils SUVAG utilisés en réhabilitation, des contributions d’ORL montrant l’apport et l’emploi de la MVT et son intérêt par rapport aux autres mesures audiométriques ; le rôle prépondérant du corps comme vecteur de sons graves pour les malentendants et comme marqueur rythmique à différents niveaux est également souligné.

2 Le SUVAG connaîtra plusieurs versions et améliorations. Ses principes et son fonctionnement sont décrits en détails par Y. Dekneuvel dans un article paru dans la revue indiquée dans la note précédente. Le SUVAG est toujours commercialisé par une société marseillaise et le fonctionnement des appareils existant actuellement sur le marché est à consulter à : http://www.suvag.com/fr/produits/default.html

3 Dans cette ressource, nous n'avons pas à développer outre mesure ces points qui intéressent le professeur de langue vivante pour son information générale mais sont peu utiles pour ses pratiques de classe. Ces aspects sont surtout exploités par les ORL et les orthophonistes. Il existe une littérature abondante sur ce thème. Les articles de Guberina et de ses collaborateurs notamment qui décrivent très minutieusement les phénomènes observés, les manipulations faites au SUVAG, l'établissement de listes de référence pour les optimales, le travail de rééducation auditive. Diverses revues d'orthophonie y ont également consacré des études.

4 Exemple emprunté à Renard, 1979, p. 49 et tiré d'un article du même auteur paru en 1967 sur l'utilisation du Suvaglingua en classe de langue.